Coup de gueule : le cinéma français a été à l’honneur du palmarès du 68è Festival de Cannes, qui gagne les trois principaux prix. Année dorée pour le cinoche hexagonal. La France a, elle, moins le vent en poupe si on s’intéresse aux thèmes des films palmés. On a même l’impression d’un gros passage à vide. Dialogue de sourds entre le public et l’industrie et classe dirigeante, sur fond de montée des extrêmes – ou, quand le pain et le cirque essaient de faire le taf.
Liesse générale chez les responsables politiques français à l’issue de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes, dimanche 24 mai au soir. Le cinéma français se porte bien, merci. Certains parlent même de triomphe. « Jacques Audiard, Emmanuelle Bercot, Vincent Lindon et Agnès Varda : le cinéma français rayonne ce soir à Cannes et dans le monde », tweetait le premier ministre, Manuel Valls. Fleur Pellerin, ministre de la culture, s’est jointe aux liesses et autres toutouyoutous, peu avant que l’Elysée n’adresse ses « sincères félicitations » aux lauréats français. Une Palme d’or pour Dheepan de Jacques Audiard, un prix d’interprétation pour Emmanuelle Bercot (Mon roi de Maïwenn) et un autre pour Vincent Lindon (La Loi du Marché de Stéphane Brizé). Les français ont de quoi être fiers. Pourtant, les thèmes de ces films devraient mettre la puce à l’oreille de la classe politique.
Les trois principaux films primés mettent en effet en scène les échecs les plus flagrants de notre société : non intégration des immigrés, colère et problèmes de drogue en banlieue pour Dheepan, violence absurde du marché du travail, et l’impasse du chômage pour La Loi du Marché, et les problèmes d’intégration sociale de la jeunesse pour Mon roi de Maïwenn. Voilà qui détonne avec le glamour du pais rouge et la polémique des talons hauts. Le cinéma français qui marche au près de la critique nous montre un visage assez sombre de l’hexagone. Leur diagnostique est celui d’un pays en proie aux injustices sociales, au racisme, au fatalisme contraint et à la déliquescence humaine. Un tableau qui n’a pas de quoi ravir, et les responsables politiques français – de gauche comme de droite – devraient, plutôt que de se mêler au chant du coq, lire entre les lignes.
La tension sociale croissante est d’ailleurs bien illustrée par l’émergence de sentiments amers vis-à-vis du Festival . Si la culture française tient une place d’importance dans le cœur de nos concitoyens, les paillettes canonises – qui, à leur façon, la célèbrent – font de moins en moins l’unanimité. Un sondage réalisé par le Parisien reprochent à l’évènement son caractère bling-bling (84 %), inaccessible (78 %) et élitiste (73 %) – avec une défiance particulièrement forte chez les seniors. Paradoxalement c’est la même élite « déconnectée », qui semble a bien des lieues au dessus de toute notion de crise ou d’austérité, qui choisit d’encenser un cinéma qui fait la part belle à la misère sociale.
Les français n’ont jamais aveuglément célébré le succès de leurs vedettes – outre atlantique on chuchote même qu’ici, on déteste voir les autres réussir. Pour autant, il y a toujours eu un attachement à la réussite de nos films, ambassadeurs de ce qu’on a choisi d’appeller une exception culturelle – comme si nous étions le seul pays à part. Paradoxalement, le public, qui confesse volontiers un ras-le-bol quant au glamour du paf qui se célèbre lui-même en rotant presque de suffisance, est avide de cette même démesure dans les films qu’il plébiscite. Il suffit de voir le succès de Mad Max, tout fraichement exhumé, du 7ème Fast and Furious (a moins que ça ne soit le 8ème?) ou encore des mega-productions Marvel – qui se multiplient comme des mycoses, jusqu’à l’absurde – pour comprendre que les gens en on soupé du réalisme morose, du mélodrame quotidien. Ça veut du gros budget, le divertissement entrée-plat-dessert, avec de la superstar (combien de film pour la jolie Scarlett ces dernières années?), de l’héroïsme pur et une chanson inédite pour la B.O.
Pour les ventes de livres, même constat (les meilleurs exemples sont encore les plus gros : la saga emo-merveilleuse d’Harry Potter, les niaiseries navrantes de Twilight, le tout petit frisson cuir-fessées de 50 Shades of Grey, la politique du sein de Game of Thrones ou encore complotisme doux de Dan Brown). Ce succès de fantasque souligne même tendance au rêve d’ailleurs – un ailleurs très loin (bientôt à nouveau dans une galaxie lointaine, très lointaine). Qu’on me prenne pas pour Finky non-plus. C’est très bien de rêver – surtout quand arrive le vendredi soir et qu’on n’a plus que ça! – mais gare au bal des cocus. On se contente de pleurer un bon coup devant Polisse, puis on oublie. C’est la politique de l’autruche. On préférè croire que la réalité c’est la télé-réalité, parce que ces narcissiques caractériels, émotionnellement déficients et intellectuellement sous-performants rassurent. Ils nous font nous sentir bien.
Ainsi, beaucoup semblent enclins à regarder ailleurs, a perdre pied avec le réel. Le monde continue de tourner sans eux, la réalité les attends au coin, pas loin (et espérons qu’elle ne sera pas Bleu Marine). On a une jeunesse ne vote plus, comme si le monde ne leur appartenait pas, et a force de s’en exclure, il est probable qu’ils arrivent qu’ils arrivent à avoir raison plutôt que de le changer. Pendant ce temps l’ennui et vide spirituel sur fond de consumérisme frustré créent de nouveaux fanatiques toutes les semaines – et il faut vraiment avoir du cervelas dans le cervelet pour pouvoir penser qu’une religion incite à tuer.
Les vilains nantis du cinéma ont mis le doigt sur le nerf cette année . Une bonne occasion de regarder la réalité en face, d’y réfléchir un peu. Elle n’est pas si terrible, promis. Aller voir ces films en grand nombre me semble un bon début. on peut se passer du prochain Coléoptère-man ou la Xème dérive parasite de Harry Potter pour soutenir le cinéma qui pense un peu. Contrairement aux politiques qui applaudissent des films qui mettent en scène leurs échecs, le temps est peut être venue de se responsabiliser.
A bon entendeur, bon courage!