Inframonde – La Turquie est au carrefour de l’Europe, de l’Asie et du Moyen-Orient. Elle a pour caractéristique d’avoir accueilli un grand nombre de civilisations depuis plus de 15 000 ans. Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Turcs, Celtes, Hittites ont fait de ces terres leur royaume. La Cappadoce détient une place privilégiée car son sous-sol recèle des centaines de cités troglodytes.
C’est en 1963 qu’est découverte par hasard la plus célèbre : Derinkuyu. Huit de ces niveaux ont été dégagés et explorés, plongeant ainsi jusqu’à 50 mètres de profondeur[1]. Creusée dans le tuf[2], cette cité pouvait semble-t-il recevoir dix milles habitants en autarcie durant des mois. Les couloirs ont révélé des chambres, des lieux de culte, des cuisines, des latrines, des étables, des silos à grain et des réfectoires. Les bâtisseurs avaient une parfaite connaissance des mesures, des poids et des propriétés de la pierre car peu d’éboulis ont été constatés.
Véritable labyrinthe défendu par des portes circulaires, roulées en travers des points d’accès, ces pierres comportent en leur centre un judas, permettant d’identifier amis ou ennemis ; une guérite sur le côté vient parfois compléter le système défensif. Les couloirs sont conçus pour rendre difficiles les mouvements ennemis ainsi que le passage d’un soldat à la fois[3]. Une autre spécialité de toutes ces cités est la présence de dizaines de conduits de ventilation très élaborés, de puits d’évacuation des eaux usées ainsi que de puits profonds, captant l’eau depuis des rivières souterraines.
Mais Derinkuyu n’est pas seule. À son troisième niveau sous la surface, un long couloir de 8 kms conduit à une autre cité : Kaymakli. Moins profonde et plus menue, cette cité se visite et montre l’ampleur de la tâche à accomplir pour forer tant d’espace. Özkonak, Tatlarin, Saratli, Göreme, Güzelyurt, Göstesin et Mazi Küyü nous sont également connues. En outre, en décembre 2014 a été découvert une autre cité totalement inconnue naguère[4]. Elle n’a pas encore été nommée. Elle a été retrouvée dans la province de Nevsehir mais semble beaucoup plus grande, faisant presque de Derinkuyu une ville mineure.
De quand datent-elles ? Pour la dernière récemment découverte, elle aurait près de 5 000 ans. Quant aux autres, on admet couramment qu’elles dateraient de l’époque phrygienne[6] mais les Hittites[7] pourraient aussi en être les auteurs[8]. On sait qu’elles existaient du temps des Grecs grâce au livre de Xénophon[9], mais on peut souvent lire qu’elles dateraient de l’ère chrétienne. C’est dire si les avis sont partagés[10] !
La vérité est que nous n’en savons rien. On ne peut pas dater la pierre et rien n’a été retrouvé qui pût être daté par nos techniques modernes. Il est vrai que des églises ont bel et bien été retrouvées, et que la preuve de l’utilisation chrétienne de ces sites s’illustre par des croix taillées dans la roche à certains niveaux, et en certains endroits seulement. Il est possible que les Chrétiens aient réutilisé ces souterrains-refuges mais n’en soient pas les auteurs. Ces cités pourraient tout aussi bien être « récentes » que très anciennes.
Voilà pourquoi les spéculations sont aussi diverses que variées. Une fois n’est pas coutume, selon certains c’est l’œuvre d’extraterrestres ! D’autres disent que ces cités datent de la dernière ère glaciaire et sont l’œuvre d’une civilisation inconnue mais déjà avancée, il y a ceux qui songent qu’elles ont été construites afin d’échapper au Déluge[11], mais la plupart pensent qu’il s’agissait de cités-refuges, des forteresses souterraines afin d’échapper aux divers envahisseurs. Nous sommes certains de cet usage car lors des invasions arabes de la Cappadoce, on sait que les chrétiens s’enfermaient dans ces souterrains sombres. Ces galeries ont servi de refuge lors des invasions seldjoukide et ottomane[12].
Encore un mystère ! Pourquoi avoir choisi de s’enterrer si profondément dans le sol, et à partir de quelle époque ? Qui en sont les véritables auteurs ? Quand ont-ils réalisé ces prouesses ? Nous aurons davantage de réponses lorsque ce gruyère qu’est la Cappadoce aura fini d’être exploré. Ceci est une autre histoire car la tâche est considérable.
[1]http://www.mondesouterrain.fr/_fr/galerie/theme.asp?pre=3072&Rubrique=2481&suiv=3956&Pere=2472
La cité pourrait être plus profonde, allant jusqu’à quinze niveaux et 85 mètres.
[2] Pierre volcanique friable mais ayant la capacité de se durcir au contact de l’air une fois la roche entamée.
[3] http://histoire-a-sac-a-dos.com/les-villes-souterraines-de-cappadoce/
[4] http://www.washingtonpost.com/news/morning-mix/wp/2015/03/27/how-this-vast-ancient-underground-city-was-accidentally-discovered-in-turkey/
[5] Source : http://www.itele.fr/monde/video/turquie-une-cite-souterraine-vieille-de-5000-ans-decouverte-en-anatolie-106444
[6] Les Phrygiens sont un peuple indo-européen originaire de Macédoine, installé en Anatolie dès 1200 av. J-C, ils sont connus des Grecs jusqu’au V siècle av. J-C.
[7] Également indo-européen, ce peuple ennemi des Égyptiens est présent en Turquie dès 2000 av. J-C. Ils disparaissent en 1200 av. J-C sans que l’on sache encore pourquoi.
[8] http://www.turcotour.org/turquie/cappadoce-derinkuyu-region.html
[9] Xénophon (440-355 av. J-C), Anabase, IV, 5, 24-25.
[10] http://www.inmysteriam.fr/anciennes-civilisations-du-sud/les-anciennes-cites-souterraines-de-cappadoce.html
[11] Idée saugrenue sachant qu’une telle cité aurait signifié la noyade pour tous ses habitants.
[12] Les Cahiers Science & Vie, Les cités de l’extrême, Sur les traces des bâtisseurs de l’impossible, Mondadori France, n°148, octobre 2014, p. 69-73.