Pris en sandwich entre le boulevard Sébastopol et la rue du Renard, le Centre Georges Pompidou (ou Beaubourg, appellation que nous préférerons par la suite, par soucis de place, il s’agit bien entendu d’aller à l’essentiel) n’est pas qu’un repère de jongleurs, cracheurs de feu, portraitistes au talent tout relatif, étudiants à la recherche de l’entrée de la Bibliothèque publique d’information (ou BPI, voir plus haut), promeneurs admirant le saisissant contraste provoqué par le parachutage dans l’un des plus anciens quartiers de Paris de « Notre Dame de la Tuyauterie ». Certes c’est aussi le plus grand musée d’art moderne de France. Mais ce que ces passants peu familiers du quartier ignorent c’est que Beaubourg est un no man’s land de touristes que les parisiens traversent comme un mexicain la frontière américaine, dans le seul but de passer de l’autre côté. Le paquebot Beaubourg tend un pont branlant entre deux rives : le quartier des halles et celui du Marais (et inversement).
D’un côté une zone réhabilitée qui a substitué à de fastes commerces centraux un vaste centre commercial. Au départ souterrain pour égayer les couloirs labyrinthiques de l’incontournable plate-forme des transports parisiens, ce que la société de consommation a fait de presque pire a envahi la surface de sorte que tout le quartier est maintenant devenu impraticable. Le temps est loin où grouillait ici une foule populaire de crochets de boucherie, de carcasses, de joyeuses prostituées. A la place trône une fontaine où ne coule plus que la fiente des pigeons qui l’ont envahie. Et encore le bien nommé « oiseau à la grise robe » est un loup solitaire face à la faune hagarde qui évolue en meutes autour du vaste chantier. Le cœur de la ville sera bientôt coiffé d’un nouveau toit, une canopée pour abriter les déambulations du désœuvrement.
De l’autre côté, des rues à peine moins grossières où se trémoussent hommes et femmes dans des costumes indécemment hors de prix achetés dans un périmètre restreint. Je connais des gens qui n’en sont pas sortis depuis 1985. Marais-cage. Rambuteau/Rue de Bretagne/Place des Vosges/ Marché Saint-Paul. Rien ne ressemble plus à une veste The Kooples que la même veste The Kooples. Les parages suintent d’un m’as-tu-vu inégalé. Il existe un « BHV La niche ». Le prix du mètre carré rue des Francs Bourgeois est de 12000 euros. La synagogue de la rue des Tournelles propose les services d’un voiturier. Le 4e arrondissement ne compte pas moins de sept boutiques Sandro.
D’une rive de Beaubourg, comme de l’autre, personne ne se risquerait à se confronter aux consommateurs d’en face. Les enfers sont toujours de l’autre côté du Styx.