Il y a de longues années, vivait un empereur qui aimait plus que tout les habits neufs, qu’il dépensait tout son argent pour être bien habillé. Il ne se souciait pas de ses soldats, ni du théâtre, ni de ses promenades dans les bois, si ce n’était pour faire montre de ses vêtements neufs.
Un jour, arrivèrent deux escrocs qui affirmèrent être tisserands et être capables de pouvoir tisser la plus belle étoffe que l’on pût imaginer. Non seulement les couleurs et le motif seraient exceptionnellement beaux, mais les vêtements qui en seraient confectionnés posséderaient l’étonnante propriété d’être invisibles aux yeux de ceux qui ne convenaient pas à leurs fonctions ou qui étaient simplement idiots.
« Non mais je suis juste tombé dessus comme ça… »
Ouais, on nous la fait tout le temps celle-là. Le bon vieux « ah non mais je ne regarde pas vraiment. » C’était la même chose avec la presse people. Personne n’achète, et pourtant ça vend. Beaucoup même. Il y a comme une omerta : c’est le silence de la honte. On croirait la masturbation. Je veux parler des émissions de téléréalité poubelle. Pas celles où des pélos essaient de faire quelque chose de leurs dix doigts – chanter, cuisiner, danser… – mais bien de celles où une poignée d’abrutis caractériels sont enfermés dans un lieu clos plus ou moins exotique, et laissés à leur propre dérive. Les Marseillais à Koh Lanta, les Anges – le retour de la vengeance – ou encore Bachelor : le mufle et ses murènes, tant d’exemples de la vacuité télévisuelle dans ce qu’elle a de plus aberrant.
Plus besoin de script, plus besoin d’acteurs – ni de talent, il suffit de trouver quelques connards vaniteux, chez qui la célébrité compte beaucoup plus que le respect de soi. Puis on le jette en pâture à un téléspectateur ricanant en leur promettant toutes les paillettes du show-business. Et ça rigole, c’est la fils-de-Kadhafi-attitude. Elles sont bien sottes les vedettes de la télé-réalité. Quand on creuse un peu, c’est d’ailleurs généralement ce qu’on nous répond : « Je regarde parce qu’ils sont cons, ça me rassure, je me sens intelligent(e) » et encore « avoue que c’est marrant, leurs fautes et tout. » Bravo l’humanisme. En gros, c’est le clown qui s’ignore. C’est une chute qui commence avant même qui la page se retourne inexorablement sur eux. C’est la cinquième tentative de suicide de Loanna, Nabila dont on a tant diffusé les inepties qu’elle pète un câble et poignarde son mec. Et on en redemande.
Et derrière tout ça, faut imaginer le producteur pétant d’aise, à siroter du Lacrima Christi dans son duplex avenue de Wagram, et robe de chambre, ses initiales brodés au dos. Et si lui aussi il se marre, c’est à propos des audiences. Lui aussi ça le rassure, lui aussi les prend pour des cons en leur vendant sa bouillabaisse télévisuelle inepte. Ça méprise bien quiètement. C’est encore mieux : il y a la carotte : « ils sont plus bêtes que moi, c’est déjà pas si mal. » Plus besoin de talent pour être connu ; plus besoin de réfléchir pour se sentir intelligent. C’est « les Habits neufs de l’empereur » une fois de plus. Allez donc parader, c’est la valse des cocus.
Beau spectacle pour la génération qui vient. On cite plus volontiers le « allo » décérébré d’une pintade encombrante que les discours sur le féminisme d’Emma Watson ou les appels à sauver la planète du beau Leo. On parle même d’Hanouna au Zapping. C’est la loi du buzz qui écrase tout. Zahia s’invite chez Jean-Paul Gaultier – putain, Inès, tu nous manques ! On érige en modèle pour la génération qui suit des égomaniaques caractériels, d’un narcissisme et d’un matérialisme dangereux, pas forcément tous totalement stupides, mais crassement incultes, fièrement inconséquents, qui pendant leurs 15 secondes de célébrité vulgaire vous méprisent eux aussi.
« La foule entière se mit à crier : « Mais il n’a pas d’habit du tout ! » L’empereur frissonna, car il lui semblait bien que le peuple avait raison, mais il se dit : « Maintenant, je dois tenir bon jusqu’à la fin de la procession. » Et le cortège poursuivit sa route et les chambellans continuèrent de porter la traîne, qui n’existait pas. »