
Le déchiffrage loufoque d’une expression bien française.
Témoins actifs d’une société en perpétuel mouvement, nous souhaitons à travers chacun de nos textes, vous sensibiliser davantage, vous interpeler sur des faits marquants, des histoires extraordinaires, des destins inattendus ou des réflexions humaines et scientifiques. A la croisée de tous nos récits, nos articles, un point commun : vouloir être à la fois sincères, clairs, précis et le plus exact possible pour vous donner l’envie de découvrir toujours plus ce que Le Grand Bestiaire a à vous délivrer.
Ou plus exactement à vous pondre.
Aujourd’hui je souhaitais mettre en lumière cette expression courante dans notre vocabulaire mais dont les raisons de l’implantation dans notre langage semblent toujours obscures.
Si l’on en croit le franc parler actuel de la langue de Molière, pondre un article reviendrait au simple fait de mettre au monde un texte provenant d’un long travail de réflexion et d’observation de la part de son auteur, d’un travail d’accouchement sur le papier. Un article peut-il se résumer à un accouchement de notre être en tant que critique ou rédacteur ? Pourquoi utiliser le verbe pondre, quand nous aurions pu nous contenter des termes d’accouchement ou de délivrance ?
« Je viens d’accoucher d’un article !
- Cool, je te délivre le mien dans deux jours. »
Voilà ce qu’on pourrait communément entendre en salle de rédaction des grands journaux si l’expression pondre un article ne s’était pas consacrée d’elle-même. Dès lors il convient de se questionner sur le maintien de cette certaine dérive du langage. Car si nous pondons des articles comme les poules pondent des œufs, cela veut-il dire que nous sommes apparentés à ces volatiles lorsque nous prenons de notre temps pour augmenter la masse verbale de notre Grand Bestiaire ? Autrement dit, en quoi peut-on considérer que le fruit de notre travail intellectuel couché sur le papier est assimilé directement à la naissance d’un futur gallinacé ?
Nous n’avons pas besoin de recourir à des noms d’oiseaux pour vous expliquer que non, nous ne sommes pas représentatifs d’une espèce à plumes et à bec. Mais si l’on considère que les journalistes picorent des informations çà et là pour aider à l’écriture de leurs articles, alors on pourra comprendre où l’expression consacrée pondre un article trouve sa source. Très imagée, la langue française se base sur les comportements de petits oiseaux ou autres animaux pour qualifier dans ce cas les journalistes dont nous faisons partie, et en ressortir une expression toute particulière. En outre, picorer, synonyme reconnu du verbe recueillir en langage familier est admis depuis bien longtemps par la langue française pour traduire la récolte d’informations éparses. Tout comme Jean de La Fontaine, nous nous plaisons ainsi à comparer l’être humain à ses congénères à poils et à plumes tout au long de la vie, et notamment pour critiquer ou expliquer des faits de société.
Ensuite, il faut savoir que la poule est un animal ovipare : elle pond même en l’absence d’un coq mais dans ce cas, ses œufs correspondent à des ovules non fécondés. De la même façon, le rédacteur d’un article sort généralement un texte sans avoir recours à l’aide de personne pour son écriture. Il pourra puiser dans ses propres ressources, ses informations récoltées au fur et à mesure de ses recherches, ou bien lui appartiendra le choix de se mettre en collaboration avec un ou une partenaire dans la rédaction d’un papier. Dans ce sens, œuf comme papier peuvent se placer sur un même pied d’égalité : quoiqu’il advienne, cela fait partie de la vie réciproquement de la poule et du journaliste de les faire exister.
Ceci peut expliquer qu’aujourd’hui, la ponte d’article est unanimement reconnue telle que nous avons tenté de vous l’expliquer.
Si nous admettons ne pas être des poules, tentons de ne pas faire partie des moutons et usons d’un autre langage sous prétexte de voir nos articles finir à la casserole, influencés par nos conversations quotidiennes.
Enfin rassurons-nous, si à l’interrogation « Qui de l’œuf ou de la poule est arrivé le premier ? » aucune réponse n’a pu être définitivement apportée, il est certain que jamais un article ne pourra pondre un rédacteur.