Pour vous aider à vous positionner dans les débats brûlants sur la femme, Le Grand Bestiaire a balayé le spectre des 10 nuances de féminisme.C’était la journée des droits de la Femme il y a peu de temps, Et le sujet est encore une fois au cœur des discussions, petit repérage en 5 temps.
Pour tenter de nous repérer avec adresse, sur ce chemin jonché d’embûches. Nous proposons un déroulé en nuances, cinq grands pôles, allant du moins investi au plus embringué. Chacun de ces groupes ayant lui même deux nuances, montrant le lien de l’un à l’autre plutôt que la rupture. Du Bienséant au Biologique, du Philosophique au Nostalgique, pour arriver à l’Engagé, il n’y a que peu de pas.
Petite mise en situation avec humour, pour nous donner à tous, les armes pour discuter plutôt que de s’engueuler.
On vous peint le décor : vous êtes à table, Bruno fait une blague sur les femmes, et là, tous les sourcils se relèvent… Bruno, le pauvre, ne comprend pas pourquoi, il tente de se défendre, mais il ne fait que creuser sa tombe.
Féminisme Bienséant
C’est à ce moment précis que vous avez l’occasion de discerner le Féministe Bienséant-Menteur du Féministe Bienséant-Penseur. Bruno va réagir aux arguments des convives, lui présentant sa blague comme offensante.
Le Menteur défendra sa blague, ne voulant pas rentrer dans le débat. Cette position “bloquée sur image” lui permettra d’échapper au jugement. Pour autant, si on lit entre les lignes, on peut trouver deux raisons logiques à cette fuite : soit il n’a pas d’arguments et se sent fautif, soit il trouve que le sujet est sans importance. S’il se sent fautif et qu’il ne peut pas l’exprimer, c’est parce qu’il n’est pas prêt à y penser, mais peut-être qu’avec de bons arguments, la prochaine fois, il voudra bien s’y adonner. Celui qui bienséant sait que son machisme ne passera pas, se met tout simplement dans une position de défense, et détourne le sujet, pour ne pas y revenir.
Le Penseur, quant à lui, se posera des questions, amorçant ainsi une re-définition de sa position d’engagement dans ce débat. Cela ne veut pas dire qu’il deviendra un Féministe-Engagé dans l’instant, mais il est prêt à y penser. Le Penseur a peut-être d’autres priorités, d’autres engagements, peut-être, ne sent-il que peu concerné, mais il ne nie pas qu’il y a matière à débattre. S’il n’a pas d’idée d’où se situer pour le moment, il le fera à terme, le quand est la seule réelle question qu’il reste à poser. Chacun dans sa vie, sa subjectivité, à le droit légitime de ne pas savoir, et si le Penseur est souvent attaqué par l’Engagé, la raison y échappe.
Féminisme Biologiste
Maxime est le convive rationnel, la science, c’est son dada. Il sert à Bruno ses arguments et se range en le faisant soit du côté du Féministe Biologiste-Résigné, soit de celui du Féministe Biologiste-Luttant.
Le Résigné vous posera des bases sans failles, et montera son chapiteau rapidement. Il vous citera Huntington Willard : « Il n’y a pas un génome humain, mais bien deux : le génome mâle et le génome femelle. » Puis, il plantera le clou en vous révélant que le viol est une stratégie masculine dans l’évolution. Si vous n’êtes pas convaincus, il vous dira que nous avons les mêmes gènes que nos ancêtres d’il y a 300.000 ans, et donc les mêmes comportements. Il n’est pas malhonnête, il avoue son abandon sans broncher.
Cependant se faisant, il vous fait aussi croire que l’espoir ne dépend pas de lui, que sa subjectivité lui est retirée malgré lui. On ne peut que lui souhaiter de rencontrer rapidement son collègue Luttant, afin de lui démontrer par A + B que la partie n’est pas perdue.
Le Luttant, vous dira qu’il a lu des tonnes de recherches terrifiantes sur le sujet. Comme celle de McKibbin qui détermine que le viol est un comportement qui peut se manifester chez n’importe quel homme. Ou encore ceux de Muehlenhard qui prouve qu’un viol est encore plus susceptible d’arriver quand l’homme à payé le dîner, conduit la voiture et qu’il a pris l’initiative d’inviter la femme.
Le Luttant vous dira qu’il valorise le féminisme, que le patriarcat n’est pas encore mort et qu’il faut en finir. Il vous dira que des solutions surprenantes sont envisageables, que Milton Diamond a démontré que la diffusion de pornographie en masse fait réellement baisser les crimes relatifs à la sexualité. Lui, directement, ne sait pas quoi faire, mais il soutient tout ceux qui font. Et si un jour, il trouve une nouveauté sur le sujet, il n’hésitera pas à la brandir pour aider l’avancée.
Féminisme Philosophe
Anne prend la parole à son tour, férue de philosophie, on s’attend à en prendre plein les méninges.
Elle se risque à déclamer qu’elle est Féministe Philosophe-Humaniste, en prenant des pincettes. Ou bien, elle harangue avec joie, qu’elle sait, elle : la Féministe Philosophe-Féministe. On tranche parfois après coup, il faut bien le temps de réfléchir, mais pas de doute sur sa position au final.
Si elle est Humaniste, elle cite Érasme, De l’éducation des enfants (1529) :
Les arbres, c’est bien possible, naissent arbres, même ceux qui ne portent aucun fruit ou des fruits sauvages ; les chevaux naissent chevaux, quand bien même ils seraient inutilisables ; mais les hommes, crois-moi, ne naissent point hommes, ils le deviennent par un effort d’invention. Les hommes primitifs, qui menaient dans les forêts, sans lois et sans règles, une vie de promiscuité et de nomadisme, ressemblaient davantage à des bêtes qu’à des êtres humains. C’est la raison qui fait l’homme, et elle n’a point de place là où tout s’accomplit au gré des passions. Si la beauté faisait l’homme, les statues elles aussi seraient comptées dans le genre humain.
Elle dit que les femmes, c’est bien, mais que les humains, c’est mieux. Elle discute de l’inné et de l’acquis, et engage tout le monde à regarder de près les disparités. Juger sans prendre en compte le sexe, mais la raison, c’est ça qu’elle aime. Avec un peu de spleen, elle admettra quand même les horreurs que la sexualité provoque.
Si elle est féministe, elle cite Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe (1959) :
On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin. Seule la médiation d’autrui peut constituer un individu comme un Autre. En tant qu’il existe pour soi, l’enfant ne saurait se saisir comme sexuellement différencié.
Elle vous rappellera avec les mots d’une autre, que la femme n’est construite socialement que sur l’image d’un homme. Que, qui plus est, c’est un homme manquant qui reflète son image. Elle est ravie de vivre à une époque d’où l’on peut regarder le patriarcat déchu. Parfois, elle l’avoue, elle imagine que ce sont les hommes qui sont difformes. Que ce négatif de castrat se renvoie pour une fois à eux, mais ce monde utopique n’existe pas, alors elle philosophe.
Féminisme Nostalgique
C’est au tour de Margaux d’amener sa pierre à d’édifice, cette jeune diplômée de sociologie a un avis bien tranché. Pour la démasquer rien de plus facile, la Féministe Nostalgique-Dépitée critiquera le féminisme actuel tandis que la Féministe Nostalgique-Assurée se contentera de dire que le travail est déjà fait. Margaux sait de quoi elle parle, et pour la faire changer d’avis, il faudra des arguments de poids.
La Dépitée vous citera Emily Hill : « La futilité des causes choisies par les féministes d’aujourd’hui est la preuve de la fin du féminisme. » Elle vous dira que les gens qui s’engagent dans le combat féministe de nos jours ne veulent que de l’attention. Que le féminisme est décédé. Elle vous rappellera le contexte dans lequel le féminisme est né, en le comparant à aujourd’hui. Pour elle, ce n’est plus une guerre de conviction, mais une baston de bar.
L’Assurée vous dira que vous pouvez vous engager si vous le désirez. Elle vous expliquera qu’elle ne se lancera pas dans ce combat, car elle l’estime gagné d’avance. Une petite liste de toutes les batailles gagnées, que la loi existe, que le droit est acquis. Elle vous dira que les statistiques montrent l’évolution des choses dans le bon sens. Que le chemin est long, mais qu’elle est convaincue, la pierre ne s’arrêtera plus de rouler. Si vous voulez la pousser pour qu’elle aille plus vite, grand bien vous fasse.
Féminisme Engagé
Tout le monde attend que Thomas dise quelque chose. Le féminisme, c’est son combat, il participe, discute, écrit sur le sujet. Bruno déglutit en attendant la sentence. Si c’est un Féministe Engagé-Malléable c’est une main tendue qui arrive. Si c’est un Féministe Engagé-Sectaire, il risque de recevoir la main en pleine tronche. Suspense…
Le Malléable lui expliquera ce qui l’a choqué dans cette blague, en détail. Mais ce faisant, il en profitera pour lui dire qu’il comprend aussi où est l’humour. Il lui démontrera, avec exemples à foison, qu’il a bien de la chance d’être un homme. Il avouera qu’étant lui-même un homme, il n’est pas le mieux placé pour en parler. Qu’humblement, il tente de mettre sa pierre à l’édifice. Il proposera à Bruno de l’accompagner à un évènement la semaine prochaine, histoire d’y réfléchir.
Le Sectaire, rouge d’impatience, maudira Bruno. Il lui dira qu’il devrait avoir honte, qu’il a bien de la chance d’être son ami parce que sinon… Il se calmera, puis repartira de plus belle. Il citera ses ami(e)s, leurs expériences, leurs difficultés. Une fois que le silence se sera posé, il donnera quelques chiffres sur le viol, sur la violence domestique, sur la mort. Le Sectaire conclura par en sentence ultime : « si tout ça existe encore, c’est à cause de gens comme toi ! » Il quittera la table, fier de lui.
Si certains de nos protagonistes semblent fermés,
on voit clairement que le spectre tout entier est capable de communiquer.
Même l’Engagé-Malléable est capable de comprendre Bruno, Le Bienséant.
Il n’y a qu’une personne à quitter la table, celle qui se fait emporter par ses émotions.
Trop Engagée, elle ne peut supporter l’accident qui vient d’avoir lieu.
Pourtant, nous l’avons vu, ces nuances s’enrichissent les unes et les autres.
La discussion est tout à fait possible, et pourrait même réussir à faire bouger quelques positions.
Alors la prochaine fois, tentons de réellement échanger, d’arrêter d’essayer de convaincre. Si vous voulez lancer la conversation, voici une vidéo qui saura faire mouche :
Ps : tous les protagonistes sont – bien-sûr – fictifs.
Les nuances ici établies ne sont qu’un essai, avec pour but l’illustration d’un propos à but réflexif.