
Avec son hip-hop charnel, et ses dessins minimalistes et érotiques, l’artiste aux mille facettes, Safia Bahmed-Schwartz, tente de redonner à l’acte amoureux ses lettres de « justesse », loin de la pornographie irréelle et des féministes engagées.
« Le problème, il est là. Tu es une femme, on va te poser la question du féminisme. Il faut que tu te situes pour ou contre… Je m’en fous », lance sèchement Safia Bahmed-Schwartz, à la terrasse du Mistral Gagnant, son havre de paix, dans le 18ème arrondissement.
C’est une habituée, « une amie » pour Malik, l’homme du zinc. La jeune artiste est comblée par l’équipe : clopes, café dans un grand verre avec des glaçons, une paille en prime, rose, pour la blague. « C’est ici que je passe une partie de mon temps, c’est un environnement que j’aime beaucoup, j’habite juste à côté, je n’aime pas les terrasses bondées, ici, je peux travailler à l’air libre, sans être dérangée par le bruit ».
Pas féministe mais réaliste
Le regard tendre, planquée derrière ses quarante tatouages, et sa casquette Mercedes-Benz, elle se gausse : « est-ce qu’on demandait à Picasso ou à Dali si c’était eux qui dessinaient des bites à tout-va, je ne crois pas. » L’artiste a conscience de créer des dessins désirables ou de la musique sexualisée. Allumant une troisième cigarette, amenée à ses lèvres pourpres assorties à ses longs ongles, elle déclare : « c’est simplement du réalisme. » De l’érotisme sans vulgarité.

Pour faire comprendre, à la gent masculine et féminine, que le porno n’est pas réalité. Avec beaucoup de recul, elle est consciente d’être une « entertaineuse », qui n’est « pas là pour changer quoi que ce soit ». « Si pendant deux secondes, je peux te faire oublier tes problèmes ou, au mieux, te faire comprendre que tu peux faire ceux que tu veux, sans te soucier du regard des autres, ça me convient. »
Les féministes d’aujourd’hui, elle ne les « blaire » pas, « des personnes qui n’arrivent pas à faire le deuil de leur agression, et tentent de régler leur problème en groupe ». Elle est reconnaissante envers Simone Veil, et à toutes les femmes qui étaient féministes, « au moment où il fallait l’être, dans les années 70 ». Son seul acte « féministe » ? Pour sa fille de 8 ans. « J’essaye de lui expliquer que les princesses Disney vont à l’école, travaillent et s’épanouissent. Qu’une femme est maitresse d’elle-même. »
Besoin de liberté et appropriation du corps
A coté de ses livre-objets, dessins, tatouages, sculptures, Safia Bahmed-Schwartz rappe, et produit des clips, hyper-sexualisés. Sans dévoiler aucune partie intime.
« Tenir un discours rébarbatif, ce n’est pas comme ça que tu fais adhérer à une idée. On vit à l’heure de la publicité » lance-t-elle, tatouages à l’effigie de Mercedes-Benz et Nike sur le bras gauche. Elle sort un bouquin de Marshall McLuhan et cite: « Le message, c’est le médium ».
« Tout passe par la médiacratie et le divertissement. Je ne tiens pas à faire une sextape pour véhiculer des idées marxistes dans ta tête… mais il y a un peu de ça. » A l’instar de son clip JTM, où Safia se met en scène dans une sextape et explique sa vision de l’amour. « On est dans une époque où l’amour se consomme de manière compulsive. Le “Je T’aime de Lara Fabian“, hyper explosif et destinée à une seule personne, c’est fini. Maintenant, on enchaîne les histoires.»
Dans le futur, l’auteur de Contrefaçon compte tourner un film autobiographique ; il y a de quoi. Native de Strasbourg, Safia débarque en banlieue parisienne à Corbeille-Essonne, elle est initiée à l’art assez tôt, « comme tous les gosses des années 90. Depuis mon enfance, je fais des sorties au musée. » La suite est moins rose. « Mon père m’a inscrite à des cours coraniques, j’y suis allée de 4 ans à 15 ans. » A cette époque, Safia porte le voile ; dans ces cours, elle apprend que « dans la religion musulmane, tu ne dois pas représenter de créations humaines. Et je pense qu’inconsciemment, c’est pour cette raison que je ne dessine pas les visages. Et, en même temps, ça permet à tout le monde de s’identifier, c’est une relation de cause à conséquences », admet-elle.
Œuvrer sans combattre
Sa quinzième année fût charnière, entre sa fracture avec son père, ses premiers émois avec l’album Temps Mort et un épisode qui lui fait « détester les Jaguar », la tatoueuse–rappeuse, se révèle. Elle est également bercée par les sonorités Electro de son époque. Doc Gynéco est une autre de ses références indéniables. « Première Consultation, aucun morceau à jeter », à l’image de « Le Monde Chico, de PNL », « tu peux l’écouter en boucle pendant des heures ». « Si je les avais écoutés » de La Fonky Family apporte sa pierre à l’édifice. « Un morceau qui m’a construit, qui m’a donné envie de faire mon métier. L’art sort du musée et les rappeurs se l’approprient. »

Dans la vie comme à l’image, Safia dégage une sensualité distante, à la fois en apesanteur et concrète. D’après Jorrdee, le flow le plus iconoclaste de la scène française, Safia a un côté « Mylène Farmer ». Dans son iPhone, la clipeuse issue des Beaux-Arts passe de, Le bitume avec un plume de Booba, à Lithium de Nirvana, en passant par Daft Punk, Magid Jordan, A$AP Mob, Christine and the Queens… « En ce moment, je suis aussi sur du Reggaetone portugais : DJ Estraga, par exemple ».
Dans les mois à venir, Safia Bahmed-Schwartz compte sortir deux clips, faire une expo-concert, à la mi-juin, dans la Cour Vitrée des Beaux-Arts à Saint-Germain-des-Prés. Ces autres projets ? Elle aimerait « faire un dessin animé pornographique, dans la mouvance du clip phallique de Jackson and His Computer Band. »
Son premier amour reste le dessin. « C’est pulsionnel, c’est vital, animal, c’est un besoin premier. Un peu comme le sexe. C’est comparable à un acte sexuel. Une fois que c’est fait, je me sens soulagé, ça va mieux ». Safia a toujours considéré le dessin et le sexe comme des langages universels, « qui parlent, à tout âge, qui unissent et réunissent, parfois divisent ». Son désir : « Œuvrer pour la liberté, pas combattre », conclut-elle avec un sourire enjôleur.
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