Cauchemar à Eurodisney. Pom Pom est le dixième album d’Ariel Pink, auteur, compositeur, multi-instrumentiste hyperactif, schizophrène musical, vivant dans les franges sombres d’un Los Angeles de film noir. Pour ce dernier opus, il a enregistré sans les Haunted Graffiti. Le disque sort sur le label indépendant 4AD, perle britannique qui nous on servi Deerhunter, Grimes, The National ou encore Bon Iver entre autres. Il y a 12 ans, Ariel Pink a rampé en dehors de sa chambre et de ses productions sur cassettes confidentielles, pour offrir une musique au vaste spectre d’influences, allant de la lo-fi de ses débuts (R Steevie More en mentor) à la pop toute puissante des années 80, au disco, au surf rock façon Malibu ou encore au glam rock.
Sur le papier, Pink est une sorte d’incarnation polymorphe du hipster parfait, toujours à un degré-cinq, hyper référencé, héro underground résolument looser. Il s’est même retrouvé catapulté égérie Saint Laurent pour sa dernière campagne, ce qui a donné de l’eau au moulin de ses détracteurs. Ariel Pink avait récemment davantage fait couler de l’encre à cause de ses frasques et ses provocations, tantôt gay friendly, tantôt homophobes, parfois clairement misogynes – et s’il est vrai que l’œuvre dépasse l’artiste, ce genre de conneries n’aide pas. Mais sa musique est assez solide pour faire passer l’offense, en particulier sur ce disque qui pourrait bien être son meilleur.
Pom Pom est un album iconoclaste et bipolaire, entre hommage à la pop glorieuse de superstars comme Michael Jackson, et expérimentations excentriques. Né de la collaboration avortée entre Ariel Pink et Kim Fowley – grand gourou du rock underground californien, hospitalisé récemment – cet album est sans doute l’un des disques les plus riches et luxuriants de 2014. A la fin de la première écoute on a un peu la tête qui tourne. Déjà la disque est long (68 minutes), mais il est en plus d’une densité et d’une volatilité proche de la démence. Aussi pour des oreille habituées à une pop plus linéaire et conventionnelle, on peut avoir l’impression d’entendre un collage extatique fait par un môme traumatisé par les années 80, à deux doigts de l’overdose de sucre à la limonade. Pourtant tout est méticuleusement assemblé, dans un voyage maniaque à travers différents mouvements, au gré de Pink, plus alchimiste que chef d’orchestre.
Le penchant d’Ariel pour le goth rock (The Cure, Sisters of Mercy) est encore présent, mais il est en collision constante avec la naïveté enfantine de ses mélodies et ses arrangements, et de cœurs par moments proprement absurdes (la voix désincarnée qui se met à tonner « Fertilizers » à la fin de Not Enough Violence). Le détachement grand guignol côtoie des instants de faux n’importe quoi (le morceau Dinosaur Carebears a même un côté Tex Avery). Sur ce disque plus que jamais, sa musique est un grand écart entre le sombre et l’innocent, la cynisme et la sincérité fleuve. Comme un Frank Zappa (spécialement période Mothers of Invention – écoutez Négative Ed) il joue avec les codes de tous les genres auxquels il emprunte sans complexe, sans trop qu’on sache s’il les adule ou s’il les méprise totalement et en fait une parodie acerbe. Ariel s’en va voguer entre plusieurs époques dont il semble vouloir recapturer la magie – une approche très A la recherche du temps perdu, pour un musicien ouvertement vintage.
Mais Pom Pom est aussi un disque moderne par bien des égards, notamment ses thématiques. Un morceau comme « Picture Me Gone » l’illustre très bien, mettant en scène un homme décédé qui s’interroge sur les traces de sa vie physique dans un monde où les souvenirs deviennent virtuels. Pink saisit et retranscrit très bien la violence et l’absurde de l’époque et l’illusion de proximité qu’amène internet. Il lui oppose une proximité réelle, gênante – voir envahissante – avec des sailles sexuelles qui, si on regarde de près ressemblent d’avantage à des appels à l’aide qu’à de la crânerie.
Les changements de tempos, de mélodie sont nombreux, mais par l’opération du saint esprit (à moins que ça ne soit Pink) les morceaux ne s’éparpillent pas. Le groove est solide, les mélodies charmantes – parfois un rien entêtantes – et le grand naufrage n’a jamais lieu. Il ne faut pas croire qu’il s’agit d’un brûlot inaudible. Ariel nous livre ici avant tout un album de pop-rock énergétique et amusant, si bien que certains auditeurs pourraient bien passer à côté de sa complexité et de sa profondeur. L’impression générale est étrangement bienveillante, chaleureuse et encourageante (c’est peut être le secret derrière le titre).
Libérateur et clairvoyant, un peu comme si Philippe Katerine savait mettre de la profondeur et de la texture dans ses ritournelles, Pom Pom mérite bien les quelques écoutes qui faudra pour voir au-delà de joli fouillis qu’il offre au premier abord. Ensuite s’ouvre un monde de possibles, et un nombre étonnant d’approches s’avèrent pour ce disque multifacettes.