Capuche noire, lunettes de ski et masque anti-pollution. Cet attirail est devenu habituel lors des manifestations contre la Loi Travail. Classés parmi les « casseurs », ils revendiquent le nom de Black Bloc et, prétendent avoir le soutien des manifestants non affiliés aux syndicats.
En immersion dans le Black Bloc parisien
Ils sont en opposition totale avec le gouvernement, en guerre dans les rues de Paris, Nantes et Rennes. Ils ne boivent pas d’alcool, ne prennent pas de stupéfiant, ils gardent les idées claires pour chaque manifestation qui pourrait leur permettre de changer la donne. Lorsqu’ils tentent de forcer le passage au milieu des forces de l’ordre, en pleine manifestation, les membres qui se chargent de lancer de projectiles restent dans la masse. Les porteurs de banderoles se mettent face aux C.R.S., comme un bouclier. Au premier bombardement de « lacrymo », le bloc se disperse dans le nuage de fumée avant de se regrouper à l’appel du tambour, devant les manifestants.
Après plusieurs confrontations avec les gendarmes et les C.R.S, entre pierres et flammes, le bloc se retrouve pris au piège, au terminus du mouvement de grève, à Denfert-Rochereau. En tenaille entre les casques noirs de Force Ouvrière et les camions de la Police Nationale, les « lacrymos » continuent de pleuvoir. Les plus aguerris se cachent des forces de l’ordre sous des banderoles, entourés d’autres membres vêtus de noir. Dans la fumée du fumigène, les Black Blocs se changent, et deviennent en l’espace de quelques secondes des manifestants lambda. Dans un square, les banderoles sont repliées et cachées. La manifestation est terminée, leur « travail » aussi, ils passent les cordons de sécurité avec aisance et disparaissent dans le métro.
Une mesure préventive avant d’être punitive ?
Cette façon d’opérer ne date pas d’hier. Le Black Bloc est apparu dans les années 1980 en Allemagne. La première fonction de ces groupes cagoulés était de « défendre les personnes vivant dans les squats et les lieux autogérés », menacées d’expulsion par la police, d’après Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’Université du Montréal. Depuis ils ont intégrés les manifestations : en 1991, contre la Guerre du Golfe, jusqu’aux affrontement en 2014, à Notre-Dame-des-Landes. À l’époque, ce mouvement a été pointé du doigt par Manuel Valls, ministre de l’Intérieur: « cette violence venant de cette ultra-gauche, de ces Black Blocs ».
La plupart d’entre eux sont des activistes issus des mouvances libertaires, des anarchistes, des antifascistes, des anticapitalistes. Ils incitent à la révolte et se voient comme des « boucliers » qui prennent les coups pour les autres manifestants. Le professeur Dupuis-Deri, spécialiste des mouvements anarchistes, a recueilli des témoignages lors de la grève étudiante de 2012 au Québec. Les manifestants racontent qu’ « en manif, c’est le Black Bloc qui a aidé quand la police a matraqué et a usé de bombe au poivre. Il transporte les manifestants au loin, en prodiguant les premiers soins. C’est le meilleur allié dans la rue.»
Héritiers du bloc ou jeunes énervés ?
Ils sont désormais de tous les rassemblements. M…, étudiante en Psychologie Clinique, Psychopathologie, Psychanalyse, est une habituée des manifestations contre la Loi Travail. Depuis mars, entre Rennes et la capitale, elle a participé à près d’une dizaine de mouvements de protestation. Elle raconte se sentir « en sécurité derrière, ou dans le Black Bloc ». Le mieux c’est de rester avec les porteurs de bannières, faut-il encore savoir où ils se « cachent ».
Au bout d’une demi-heure de manifestation, les coupe-vents noirs sortent des sacs, de manière assez aléatoire dans la foule : dans les rangs des lycéens, des étudiants, dans le cortège de Nuit de Debout et toujours dans le giron des « infirmiers de rue ». Le Black Bloc travaille de concert avec ces jeunes équipés de trousses de premier secours, certains sont des pompiers volontaires de 16 ans ou des titulaires du BAFA. La plupart de ces manifestants en noir n’ont pas encore l’âge de voter, ce sont des adolescents, le plus jeune est encore au collège et mesure moins d’1m30. Des membres du Mouvement inter-luttes indépendant (MILI) pour la plupart.
Des enfants et des anarchistes
Les banderoles contre l’Etat et la Police se déploient. Malgré la virulence des affiches et des slogans scandés par la foule, dans le mouvement « il y a une partie violente et une autre non-violente ». Ceux qui jettent les pétards et les fumigènes, noyés par la foule de cagoules noires ; et ceux qui protègent le Bloc avec les banderoles, regroupent les manifestants dispersés et soignent les yeux brulés par les lacrymogènes. Aux alentours de Duroc, une centaine de bouches cachées derrière des masques vocifèrent contre les symboles de l’Etat.
Lorsque le Bloc s’aperçoit qu’il n’ira pas à Matignon, il veut trouver un moyen de l’atteindre. Des jeunes cherchent des bouteilles en verre dans des sacs poubelles, d’autres apparaissent pavés en main. Une partie de la masse noire s’énerve à la vue des projectiles. « Il y a des désaccord dans la manière de fonctionner, c’est de plus en plus la merde » jette un jeune lycéen dans la foule noire. « Ils n’ont aucune conscience politique, leurs actes n’ont pas de sens », grommèle un trentenaire attifé d’autocollants à l’effigie du Front de Gauche. Ce mouvement libertaire, qui a un semblant d’organisation, devient de plus en plus disparate depuis les insurrections contre la Loi du Travail. Le bloc est scindé en deux constate M…, entre les « habitués » qui véhiculent leurs convictions politiques par des actes de violences et ces « jeunes » qui ont « une haine, une colère en eux » qui s’apparente à du désespoir et de la détresse, ils sont hors de la pensée construite de l’anarchisme. Ces jeunes sont devenus majoritaires et c’est complètement nouveau.
Des oppositions dans les idées mais dans la bataille, le Bloc fonctionne comme un seul homme. Lorsque M… participe à une manifestation avec le Black Bloc, elle espère surtout une évolution chez les forces de l’ordre. Elle rêve de voir, à Paris, ce qui s’est passé le 9 décembre 2013 à Turin : « des policiers ont enlevé leur casque anti-émeute et ont rejoint les manifestants qui protestaient contre le gouvernement. » Pour l’instant, ces guérillas urbaines ressemblent plutôt à un cauchemar.
Pour en savoir plus : Interview de Francis Dupuis-Déri, l’auteur de « Les Black Blocs – La liberté et l’égalité se manifestent ».
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