Souvent, Donald Trump est présenté comme une anomalie. Son succès semble avoir pris tout le monde par surprise. Pourtant, à bien y regarder, le favori de la primaire républicaine est en réalité le dernier développement d’un effondrement politique, porté pas les tendances autoritariste et rétro-conservatrice suivies par le parti Républicain. Et même s’il perd l’élection, cela ne fera pas automatiquement disparaitre les bouleversements sociétaux profonds dont il n’est en définitive que le révélateur.
Le Grand Old Party connait son Babel : l’establishment qui renie l’arriviste, ne se reconnait plus, les rixes se qui multiplient dans les meetings, les alliances du bout des lèvres et des candidats s’essoufflent tant que des doutes apparaissent quand à une issue positive à cette course aux 1 237 délégués. La raison de ce grand bordel, pas si joyeux ? La candidature après-tout-pas-tant-une-blague-que-ça du sulfureux fils de milliardaire Donald Trump. Celui qui était pressenti il y a encore six mois comme le clown de 2016 s’est imposé comme l’Attila un peu foutraque des primaires, et fait grincer des dents tant à droite qu’à gauche. Même ses conseillers ne pensaient pas que l’aventure les mènerait si loin – Stephanie Cegielski, l’une des chargées de stratégie du candidat a même quitté le navire fin mars, en publiant une lettre ouverte incendiaire où elle dénonçait les travers de son poulain. Elle expliquait par ailleurs que même pour lui, le succès de sa campagne était accidentel, et qu’il visait initialement un « chiffe double » (plus de 10%) lors des primaires. Il n’aura pas eu de mal à se convaincre de sa présidentiabilité en chemin.
Pourtant, à y regarder de plus près, ça n’est pas réellement un accident. Les indices d’une dérive populiste se sont multipliés à mesure que le parti Républicain embrassait la controverse, et phagocytait le nationalisme américain et son imagerie rutilante un peu kitch. Dans le sillon de Georges W Bush, planqué devenu chef de guerre, toutes étoiles devant, le patriotisme américain est devenu dangereusement bête. Et la stratégie qui consiste à traiter de « traitre » tout divergeant n’est pas neuve dans l’histoire du GOP. La France avait par exemple été pointée du doigt lorsqu’elle a refusé de prendre part à la coalition envahissant l’Irak – qui se souvient des Freedom Fries ? Le très réussi biopic sur le réalisateur Dalton Trumbo, victime du maccarthysme pour avoir refusé de témoigner au Congrès sur les « influences communistes » dans le Hollywood des années 40 et 50, le montre aussi de façon terrifiante. La ligne « radicale » n’a donc rien de neuf. Seulement, ce discours est créateur de divisions profondes dans la société américaine. Depuis des décennies le parti nourrit les animosités et rages froides des blancs à faible revenus et des middle class déclassés, qui sont en train de porter Donald Trump à sa tête.
Donald Trump or Ted Cruz ?
Aussi, le fait que la dernière alternative à Donald Trump soit le créationniste puritain, bigot et misogyne, Ted Cruz est un indicateur assez éloquent de l’état de santé du GOP. Si Trump inquiète et amuse à la fois, à y regarder de plus près, l’autre fait carrément peur. Tous les candidats raisonnables ont disparu lors de la course à l’investiture, et il ne reste que les deux plus radicaux – l’un par conviction, l’autre probablement par opportunisme. Ils répondent à une frustration immense d’un parti partagé entre la honte (la présidence de Bush Jr a fait l’objet de tant de railleries qu’elle passe universellement pour un vaste plaisanterie) et une peur maousse – ils ne reconnaissent plus leur pays. Aussi, ajoutons que la radicalisation du discours républicain a également été accélérée par la pose du président – et roi du stand up – Obama. En se donnant le monopole de la morale, et en utilisant tous les prétextes pour faire ridiculiser l’opposition, et la faire passer pour un ramassis d’égoïstes, racistes et sots, il a contribué à cette fuite en avant. Le cas classique du monstre qui le devient à force de se l’entendre dire.
Dans ce contexte, Donald Trump a une batterie d’atouts-charme. Il présente des qualités qui parlent aux masses de paumés auxquels on a un peu trop répété que l’Amérique, c’était mieux avant. D’abord, il n’est pas un produit de la classe politique, à une époque où la défiance pour le politicard atteint des niveaux édifiants. Ce statut d’outsider lui a permis de se placer comme un libre penseur à la grande gueule, qui « dit tout fort ce que tout le monde pense » (jamais bon signe quand c’est le seul cheval de bataille d’un candidat/parti). A grands coups de buzz et par une communication émotionnelle, il fait du grand spectacle. Les médias se régalent et les mécontents applaudissent. Donald Trump c’est aussi un entrepreneur à succès (discutable). Un nom qui parle, qu’on lit un gros sur la façade de tous des gratte-ciels. Il doit beaucoup à la fortune de son père. Cependant il a aussi réussi à se transformer en succes story, même s’il en est d’avantage la mascotte que l’acteur véritable. Sa fortune pèse lourd, et en temps de crise, l’Amérique attend éplorée le business man qui saura la remettre sur le chemin de la toute-croissance.
Un autre point fort de Trump : il tient de propos racistes. Nombre de ses déclarations le sont, ce qui implique que soit il l’est lui-même, soit il fait semblant à des fins électorales, ce qui est encore pire. Ces dérapages ont en tout cas su séduire les franges xénophobes de l’Amérique. Un parti politique fonctionne globalement comme une collocation. Et au moment où le parti s’est retrouvé en berne (le raz de marée Obama – un noir, imaginez ! –, John McCain le vétéran détraqué entarté par sa propre vice-présidente, l’indigeste oie du grand nord, puis Mitt Romney ou le golden boy qui ressemblait trop à votre patron pour être populaire) il a ouvert la porte à des individus à l’idéologie discrètement nauséabonde. Il les a acceptés pour élargir son spectre d’électeurs, et s’est adressé aux plus remontés, défendant des idées autrefois infréquentables. Une fois entré dans la colloc’, le raciste modéré s’y est senti chez lui, et a fini par inviter ses amis, qui eux le sont moins. Maintenant ils squattent le salon, au grand damne du centre droit qui voit ça d’un œil horrifié – maintenant ils n’osent même plus sortir reprendre du poulet dans le frigo une fois la nuit tombée. A ce propos, le refus de Trump de condamner un dirigeant du Ku Klux Klan qui appelait à voter pour lui en dit long : ça bouffe à tous les râteliers.
C’est une stratégie peu glorieuse, mais surtout dangereuse. Il est néanmoins probable qu’elle ne porte pas ses fruits. Jouer la carte du front WASP + white trash n’est pas un pari gagnant à long terme – surtout quand on connait la croissance démographique de la communauté latino. Aussi, cette primaire semble être le dernier baroud d’honneur d’une Amérique qui se pense encore comme une terre blanche (en dépit de l’histoire et de l’avenir). Dans tous les cas, le parti Républicain ne s’en sortira pas indemne. Il devra mourir pour se réinventer. Deux voies sont dès lors possibles : continuer dans la voie populiste qui dicte le ton lors de ces primaires. Cette surenchère outrancière a le mérite de réunir des foules exaltées, mais le parti perdra sa base de modérés – et pas uniquement pour des questions ethniques. Les dérapages du candidat Donald Trump sur la répression des femmes recourant à un avortement lui ont valu ses premiers revers électoraux. Ou alors ; le GOP pourra faire marche arrière après ce qui s’annonce déjà comme une déculottée magistrale. Il faudra alors renaitre de ses cendres après un décrassage idéologique – et surtout moral – où il sera nécessaire de tordre le cou aux dérives qui ont lentement mais surement transformé le front conservateur en parodie de lui-même.