FOMO, le sigle anglais pour « Fear Of Missing Out », désigne la peur de passer à côté de quelque chose. Fortement liée à Internet et aux réseaux sociaux, la FOMO est une peur croissante chez les générations Y et Z. Décryptage…
« J’aurais tellement dû y aller avec eux ! Ils ont l’air de s’éclater !»
Si cette pensée vous a déjà traversé la tête alors que vous regardiez les photos de vos amis à un concert/en vacances/au parc Asterix/à l’anniversaire de la tante Berthe, alors vous souffrez peut-être de FOMO.
Entrée en 2013 dans l’Oxford English Dictionary, la définition qu’il en donne pourrait se traduire comme suit :
L’angoisse de manquer quelque chose d’excitant ou d’intéressant qui arriverait ailleurs au moment présent. Phénomène bien souvent amplifié par les réseaux sociaux.
Autrement dit, la FOMO serait une peur de mal dépenser son temps, mais cette définition est un peu trop étroite pour recouvrir tous les tenants et aboutissant du concept…
La FOMO kézako ?
Dans un sens plus large la FOMO peut être définie comme la peur compulsive de passer à côté de l’opportunité d’une interaction sociale, d’une expérience nouvelle, ou de tout autre évènement pouvant être source de satisfaction.
L’expression est d’ailleurs passée dans le vocable professionnel, par exemple lorsque se présente une offre d’emploi qui pourrait changer votre carrière, ou pour parler d’un investissement dans le monde des affaires.
Il n’est alors plus question de temps mais d’investissement de ressources : la FOMO pouvant alors tant être la peur de rater une promotion (« J’ai acheté un toaster qui grille le visage de Jésus à moins 75% en vente Flash Amazon… Moins 75% !!! ») que de louper le coche d’une mode aussi abusée soit-elle (« J’ai installé Pokémon GO, pas toi ? »), autrement dit la FOMO c’est un peu la peur de rater l’appel du destin.
Regrets ou remords ?
Regretter de manquer quelque chose n’est toutefois pas une notion nouvelle.
Par tous les temps et toutes les latitudes, les poètes ont chanté leurs regrets et leurs remords à qui voulait bien les entendre. Mais regret n’est pas remord, alors de quoi parler dans le cas de la FOMO ?
Ma mère m’a répété toute mon enfance ce vieux dicton :
« Il vaut mieux avoir des regrets que des remords ».
Par là, elle entendait que les regrets concernent les choses que l’on a fait et les remords les choses que l’on n’a pas faites. Néanmoins, si cette définition est certainement la plus répandue, la différence entre remord et regret n’est pas gravée dans le marbre et nombreuses sont les propositions sémiologiques pour distinguer les deux termes. D’autres définitions mettent l’accent sur une distinction éthique (les remords seraient des regrets liés à la morale) ou étymologique (plus long expliqué mais réellement passionnant – détaillé dans cet article).
Mais si nous nous en tenons à la définition de ma mère, la FOMO serait donc la peur de regretter, l’angoisse viscérale d’être confronté à une mauvaise décision.
Victimes de notre époque ?
Rater l’appel du destin, être confronté à une mauvaise décision, peur du regret… Le portrait-robot de la FOMO s’esquisse…
Si la peur de la mauvaise décision a toujours existé, comment expliquer qu’elle soit devenue exacerbée au point devenir un running-gag mondial sur le web et un sujet de discussion récurrent dans les media (plutôt anglo-saxons, certes) ?
Le symptôme le plus souvent décrit lorsque l’on parle de personnes souffrant de FOMO est l’hyper-connexion, une conséquence du succès des réseaux sociaux. Nous sommes désormais capables de savoir instantanément ce qui se passe quand nous ne sommes pas là, et cette capacité a la conséquence vénéneuse de nous informer que nous manquons (ou avons manqué) un morceau de Temps auquel nous aurions pu participer, semant chez nous la graine du regret.
Mais si les réseaux sociaux sont un facteur essentiel pour comprendre cet avènement de la FOMO, ils ne suffisent pas à l’expliquer à eux seul.
La FOMO est également liée à des changements de valeurs et de paradigmes sociaux.
Quatre autres facteurs important sont à prendre en compte :
La civilisation du loisir
Selon la thèse de Joffre Dumazedier dans son livre « La Civilisation du Loisir » (1962), le loisir s’est affirmé comme une valeur cannibalisant le travail au sein des sociétés développées.
Or, si auparavant le loisir était une expérience personnelle essentiellement privée, il est aujourd’hui une pratique publiable sinon public, jusqu’à parfois devenir une revendication quasi-identitaire.
Il FAUT montrer que l’on s’amuse sur les réseaux sociaux, partager sa vie et ses expériences en direct quitte à (ou en vue de) créer envie et jalousie chez les personnes réceptrices du message.
Et sans ce changement de paradigme, ce besoin hédoniste et vain de s’amuser toujours et de le montrer, la FOMO aurait trouvé un terreau moins propice dans notre société.
La richesse de choix
Une des caractéristiques de la génération des millenials est d’avoir été élevé avec l’idée que pour s’accomplir, il faut tracer son propre chemin, et que les choix pour y parvenir sont infinis et laissés libres à notre propre volonté pour peu que l’on s’en donne les moyens. (Cf. cet article bien connu de Tim Urban)
S’il y a un indéniable fond de vérité (quelle génération auparavant pouvait sur un coup de tête partir refaire sa vie au bout du monde ?), cette idée profondément ancrée dans notre psyché générationnelle participe à faire de la FOMO une peur générationnelle.
La pensée existentialiste prônent qu’un individu est la somme de ses choix. Dès lors comment ne pas être angoissé à l’idée de faire un mauvais choix lorsque l’on est confronté en permanence à « ce que l’on aurait pu vivre » par le biais des réseaux sociaux ?
L’intégration des univers virtuels
Dans les jeux-video, il est très difficile de rater quelque chose. Lorsque l’on passe à côté d’un item ou que l’on choisit un chemin à un embranchement, il suffit bien souvent de faire machine arrière ou de charger une sauvegarde pour résoudre au problème.
Pourquoi est-ce un facteur important à prendre en compte ?
Parce que le rôle du jeu dans l’éducation est de préparer l’enfant aux réalités du monde, et que pour limiter le sentiment de frustration chez les joueurs (important de ménager ses clients d’un point de vue marketing). Nous sommes une génération entière à avoir été éduqué à la sauvegarde, avec cette capacité de revenir en arrière et de prendre un autre chemin…
Les jeux-video vous apprennent aussi à remplir des objectifs à 100%. Que le joueur qui n’a jamais recommencé rempli toutes les quêtes secondaires d’un jeu pour le finir à fond me jette la première manette.
C’est évidemment impossible dans le monde : on ne peut pas tout faire et tout réussir. Mais on peut essayer de ne rien manquer, ergo la FOMO et le combat permanent qu’elle force à avoir : au lieu de faire une soirée, il faut essayer d’aller à 5 en une soirée pour n’en manquer aucune…
FOMO Marketing
Une dernière explication de notre sensibilité extrême à la FOMO s’explique aussi par son usage massif en marketing sur Internet.
Vous savez ce petit timer qui vous indique qu’il vous reste encore 5 minutes pour saisir cette offre spéciale ? Eh bien sachez que c’est souvent très arbitraire, voire même parfois un script intégré aux pages calculé juste comme il faut pour vous pousser à l’achat. (Et vous pouvez me croire sur parole, gérer ce genre d’offre est une compétence sur mon CV).
Dompter sa FOMO
Dire « OUI » à tout n’est pas une solution efficace à la FOMO, quoique cela peut générer quelques aventures amusantes selon mon expérience personnel (par exemple comment passer du salon de l’agriculture de Paris au salon de l’érotisme de Bruxelles en une nuit).
Pour vaincre sa FOMO, il est crucial de prendre conscience que nos ressources en énergie, en argent et en temps sont limitées. Afin d’atteindre ses objectifs personnels, il est important de gérer ces trois ressources avec parcimonie et donc d’apprendre à bien choisir comment les dépenser pour maximiser leur utilité.
La frénésie de sorties et de fêtes tant à la mode actuellement, si elle répond à un idéal hédoniste post-moderne (quoique l’est-il vraiment ? Que penser alors des Années Folles ?), est finalement assez vide.
Pour continuer à citer mes parents, mon père a cette jolie phrase « La fête permanente, c’est la tristesse infinie. ». Et c’est finalement ce qu’est la FOMO, une fuite en avant pour fuir notre mortalité et les limites de notre condition d’humain en nous transcendant par une hyper-activité de Yes Man.
La raison a toujours été la meilleure réponse à la peur, surtout lorsque c’est une peur essentiellement émotionnelle comme l’est la FOMO : à quoi bon vouloir vivre tout lorsque l’on peut vivre simplement ? Soignez votre FOMO et vous ferez un beau pas en direction de la sagesse…