Je me suis longtemps demandé si un critique musical pouvait tout écrire. D’un côté, les attachés de presse, les maisons de disques, voire les artistes eux-mêmes nous incitent à parler des projets qu’ils défendent. Le but ? La notoriété. De l’autre, ils attendent de nous que l’on défende le projet de manière POSITIVE. Quand on aime, la question ne se pose pas. Mais dans le cas contraire ?
J’ai toujours refusé de chroniquer des disques que je n’aimais pas. D’une part parce que je devais faire un choix parmi la multitude de disques reçus. Il y a tellement d’artistes intéressants à mettre en avant qu’il vaut mieux éclipser les moins appréciés que ceux qui nous ont interpellés. D’autre part parce que même si je n’avais que ça à faire, en dehors d’informer le lecteur de mon avis négatif, ma prose ne pourrait même pas figurer dans un dossier de presse et surtout pourrait blesser l’artiste. Oui oui, il y a un être humain derrière un projet, on ne doit pas l’oublier ! Mais c’est parfois plus compliqué que ça.
J’ai récemment eu un gros dilemme : un petit festival landais, qui fêtait sa 4e édition, avait fait appel pour la 1e fois à une attachée de presse afin de ne plus limiter sa notoriété à la sphère locale. Avec quelques autres journalistes et blogueurs de l’hexagone, j’ai donc traversé la France (7h00 de train !) pour m’y rendre, le concept étant plutôt accrocheur (littérature et musique).
Nous étions hébergés les 3 jours par des habitants du village où se produisait l’événement. Une bonne idée pour s’immerger dans le quotidien des autochtones. Tant qu’ils nous voient comme des gens sérieux et professionnels. Nos logeurs avaient quant à eux une idée bien particulière de qui nous étions : des parisiens, journalistes, dans la musique : forcément pervertis par le luxe et l’alcool.
Ah s’ils savaient… s’ils savaient que nous étions juste des passionnés sans un rond, que malgré le fait d’être logés et nourris sur place nous avions dépensé presque 200€ de notre poche pour parler d’eux… et non, tous les journalistes de la capitale ne sont pas des alcooliques irrespectueux et aux poches pleines.
Nous nous sentions malgré tout un peu VIP car nous étions LES journalistes qui allaient parler de LEUR festival dont ils étaient si fiers. Ils nous regardaient tous avec de grands yeux, désireux que nous fassions l’éloge de leur événement. Sauf que… sauf que la programmation musicale était catastrophique, à l’exception de 2-3 artistes.
Le président du festival s’était lui-même programmé. Un sketch. On aurait dit un grand-père qui chantait pour ses petits-enfants. Il était si fier ! C’était vraiment pathétique. Ça m’a presque fendu le cœur. Il avait également programmé certains de ses amis, tous plus mauvais les uns que les autres. Je voulais juste leur hurler que l’argent n’achète pas tout, surtout pas le talent. Que la passion ne suffit pas pour percer. Qu’ils devraient tout arrêter. Quelle déception !
Nous étions régulièrement interrogés afin de donner notre avis sur telle ou telle prestation… de ce fait nous passions notre temps à fuir les organisateurs. A rire entre nous (journalistes) comme des ados, catastrophés et à nous demander ce que nous allions bien pouvoir écrire à l’issue du festival.
Une fois rentrée chez moi, la question était : que dois-je faire ?
Si je m’en tenais au principe de ne pas écrire quand je n’aime pas, j’allais décevoir l’attachée de presse, et surtout les organisateurs du festival qui s’étaient donnés tant de mal pour nous faire venir. Ils auraient fait tout ça pour rien et je me serais sentie opportuniste. Un vrai cas de conscience.
J’ai donc décidé d’en parler. Une autre question s’est posée : vais-je dire ce que j’ai vraiment pensé du festival ou dois-je faire un article condescendant pour faire plaisir à mes hôtes ? J’ai finalement rédigé un article fade et sans intérêt, me contentant de poser le décor, de citer la programmation, en insistant néanmoins sur les rares artistes de qualité. Mes confrères ont eu la même problématique. Au final, le festival aura eu un joli petit dossier de presse empli d’hypocrisie. Avons-nous bien fait ?
Ne pouvions – devions-nous pas être honnêtes et dire que nous n’écririons que sur les artistes appréciés et non sur le festival ? Ne pas faire la promotion d’un événement amateur et à la programmation déplorable ? Je m’interroge toujours. Qu’en pensez-vous ?