Polynésie – Les archipels de cette région du monde ont abrité des civilisations restées largement méconnues. Ni l’île de Pâques, ni Nan-Madol – la « Venise du Pacifique »– ne sont ici abordées, seulement ces innombrables petites îles, rendues célèbres par l’expédition du Kon-Tiki[1] et par les vestiges qu’elles dénombrent.
Tiki est le dieu des Polynésiens, civilisateur et créateur des hommes. De nos jours, c’est aussi un emblème commun à toutes les îles polynésiennes, qu’elles soient américaines (Hawaï) ou françaises (Tahiti, îles de la Société). On retrouve également le nom de Tiki en Amérique du Sud[2], ou sous le nom de Viracocha[3].
Les images d’Epinal nous montrent les peuples polynésiens comme des chasseurs-cueilleurs parfois anthropophages, sacrificateurs d’êtres humains, souvent dévêtus, et dont les principales activités étaient l’exploration maritime et la guerre entre tribus. En histoire, les stéréotypes ont une impressionnante longévité et nous redécouvrons depuis plus d’un siècle leurs mœurs, leurs cultes et leurs légendes mystérieuses.
La Polynésie est occupée depuis au moins 1 500 av. J-C par des peuples de langues austronésiennes[4]. Ces nomades des mers se sont progressivement rendus toujours plus vers l’est, avant de tomber sur l’Amérique du Sud, peut-être vers 300 apr. J-C. Les civilisations qui ont arpenté les petites îles et atolls de cette immensité océanique sont systématiquement décrites comme primitives. Seulement, leur primitivité n’est pas en adéquation ni avec leurs capacités ni avec les vestiges qu’ils ont laissés.
Ces peuples ont parfaitement maîtrisé la navigation (voile & rame), et ont su s’orienter en fonction du soleil et des étoiles : nul besoin de GPS pour se rendre d’Hawaï aux îles de la société. Certes, le métal leur est resté inconnu, tout comme le tissage[5], mais nul besoin pour eux d’embarcations qui pétaradent à faire fuir toute la faune pour conquérir des îles éloignées de milliers de kilomètres. Ils ont fait cela en pirogue -des nefs élaborées- chacune capable d’embarquer jusqu’à vingt personnes, voire davantage. Comment faisaient-ils sans cartes, sans sextants[6], sans satellites, sans écriture[7] ni même calculs mathématiques complexes ? Le mystère demeure et nul besoin d’hypothèse de l’autostop auprès d’aliens quelconques.
Les îles étaient autrefois très peuplées : Francis Mazière raconte que l’île de Fatu-Hiva (à peine 10 km2) a pu compter des dizaines de milliers habitants. Ce chiffre est sans doute exagéré mais ils étaient sédentaires, cultivateurs et bâtisseurs. Les paepae, ces plates-formes de pierre servant à surélever les maisons, parsemaient chaque île par centaines[8], et des milliers ont été reconstitués. Les Polynésiens ont bâti des routes pavées de 4m de large comportant des canaux d’évacuation des eaux, qui protégeaient ainsi la construction contre le ravinement des fortes pluies. Ils ont sculpté des statues monumentales, construit des ports, des murailles, des places centrales, des temples de pierres – pierres qui pesaient parfois des dizaines de tonnes – et même des dizaines de pyramides[9]. Comment ont-ils accompli tout cela, à quelle époque, eux que l’on disait primitifs ?
Pourquoi construire des bâtisses complexes et des routes pavées sur des îles minuscules ? Une chose est certaine, ceux qui ont accompli cela étaient organisés, disciplinés et civilisés.
Les navigateurs européens découvrent ces peuples au cours du XVIIIe siècle et apportent avec eux des maladies inconnues, telle que la variole. Les guerres entre tribus et la venue de l’alcool ont brisé les traditions de ces îles. Leurs cultes ont peu à peu disparu avec l’évangélisation.
Les Européens sont accusés d’avoir systématiquement tout détruit mais fort a également été l’impact de la nature : raz-de-marée, typhons, volcanisme ont perturbé voire détruit des sites archéologiques entiers. C’est pourquoi nous trouvons beaucoup de tombes, de temples ou d’habitats dans des états chaotiques.
L’origine de ces peuples reste incertaine, et la connaissance de leur niveau de développement est encore méconnue. Pourquoi et comment retrouve-t-on Tiki et Viracocha sur une ère géographique aussi importante, et sur des époques aussi éloignées ? Une chose est certaine : bon nombre de ces îles ont peu été explorées. Mazières était par exemple l’un des premiers à s’intéresser à l’archéologie de la petite île de Fatu-Hiva. De nos jours encore, on estime que l’archéologie de ces territoires n’est pas de prime intérêt. Pourtant, il nous reste tant à découvrir et l’avenir nous réserve de bonnes surprises.
Les descendants du Tiki n’ont pas fini de faire parler d’eux.
Sources :
– M. Cathcart, T. Griffiths, G. Houghton, V. Anceschi, L. Watts, D. Goodman, Mission to the South Seas : the Voyage of the Duff, 1796-1799, University of Melbourne.
– Eliane Lopez, Le grand livre de l’histoire des civilisations.
– Francis Mazières, Archipel du Tiki.
– Pierre Ottino, Une structure lithique marquisienne : le paepae.
– Hans-Joachim Zillmer, Les découvertes des Amériques avant Colomb.
– http://www.wikistrike.com/article-les-ruines-dans-le-pacifique-75066014.html
– http://polynelise.com/tiki-les-temoins-de-pierre/#comment-81
– http://www.coeurpolynesie.com/pages/les-iles-marquises/archeologie.html
– http://books.openedition.org/sdo/363
– http://books.openedition.org/sdo/369
– Dossier d’archéologie polynésienne n°4, Bilan de la recherche archéologique en Polynésie française, 2003-2004.
[1] Thor Heyerdahl (1914-2002), navigateur, explorateur norvégien. Il rallie la Polynésie en 1974 sur un radeau, depuis les côtes sud-américaines. Il a voulu ainsi prouver que la population des îles venait du continent américain, donc de l’est et non de l’ouest comme l’historiographie nous l’apprend ; Francis Mazière (1924-1994), explorateur et archéologue amateur, a partagé la même conviction qui s’est avérée fausse : les Polynésiens semblent bien être venus d’Asie, et non d’Amérique.
[2] Orthographié ainsi : Con-Ticci.
[3] Viracocha est un dieu commun à plusieurs peuples d’Amérique du Sud (Incas, Aymaras, Tihuanaco, Chachapoyas). Selon certaines légendes, il s’agissait d’un dieu blanc, barbu, parti en exil à l’est du monde. On le nomme également Tunupa ou Pachacamac.
[4] Les langues austronésiennes forment la 2e famille de langues au monde (1 268 langues), qui rassemblent des idiomes qui vont de Madagascar à la Polynésie, incluant Taiwan et l’Indonésie.
[5] Le tissu polynésien est le tapa, c’est-à-dire une étoffe faite de fibres végétales non tissées.
[6] Le sextant est un instrument fiable de navigation, dont les premiers prototypes, les octants, datent du premier siècle de notre ère. Le sextant moderne a quant à lui été inventé dans les années 1730 par les anglais John Hadley et Thomas Godfrey.
[7] Les Polynésiens ont utilisé des symboles pictographiques, des glyphes, pour noter des concepts et résumer ainsi leur histoire. Ces symboles nous sont hermétiques.
[8] Concernant les Paepae, il est à noter l’étrange ressemblance entre ceux des Polynésiens et les maisons des Chachapoyas, peuple du Pérou ennemis des Incas, et dont nous avons déjà parlé au sein du Grand Bestiaire.
[9] Les pyramides polynésiennes (nommées marae) sont des plates-formes dont la base est plus souvent rectangulaire, et le sommet suffisamment large pour pouvoir y organiser des cérémonies.