Le Grand Bestiaire se charge de vous faire part de ses lectures choisies, ses conseils de lecture. Cette ouvrage est à mettre entre toutes les mains. Ce livre dévoile les bases de ce qu’est la propagande moderne, c’est-à-dire une manipulation globale et quotidienne.
Bernays n’est pas un personnage très connu du grand public – du moins pas à sa juste valeur. Tentez au cours d’une soirée de parler de lui, et vous pourrez admirer des yeux écarquillés, des froncements de sourcils d’incompréhension. Si Edward Bernays (1891-1995) et son livre sont si importants, c’est qu’il n’est ni plus ni moins que l’inventeur de la propagande moderne. Cela bien sûr grâce à son sens des affaires, la connaissance des travaux de son oncle – le célèbre psychanalyste Freud – ainsi que ses idées novatrices en terme de communication.
La propagande n’est pas chose nouvelle puisque les Romains en usaient déjà largement au temps de la République comme de l’Empire – durant des siècles, donc. Néanmoins, Bernays va donner à la propagande non plus son premier sens de « propager », mais celui de tromper le public pour le faire aller dans un sens, ou lui faire avoir une opinion qui n’était au départ pas la sienne. C’est depuis Bernays que la propagande revêt un aspect très négatif.
Sceptiques ? Rien de plus normal car quiconque n’a eu Propaganda entre les mains ne peut se figurer la puissance de l’endoctrinement par des voies passives ; passives seulement en apparence.
Propaganda commence par ces mots : « La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays. »[1] Pur et simple aveu de l’existence de ce gouvernement invisible, conçu selon Bernays comme une corporation des gens les plus influents et les plus riches du pays. La propagande est l’organe exécutif de ce gouvernement invisible.
L’application de ses thèses commence avec la création des Relations Publiques[2], concept qui n’existait pas réellement avant lui. Afin de changer l’image de marque d’une entreprise ou vendre un produit, Bernays se sert d’intermédiaires entre les vendeurs et les consommateurs, intermédiaires censés être impartiaux et désintéressés. Vendre un savon devient aisé, dès lors qu’un médecin plus ou moins reconnu en vante les vertus. De tangibles résultats sont rapidement visibles par Bernays lui-même, ou ceux ayant adopté ses techniques de communication. Au palmarès des faits dont il est l’instigateur ou le participant, nous avons retenu trois exemples :
– en 1917, il est membre de la Commission Creel[3], celle-là même qui est chargée par le gouvernement américain de promouvoir l’intervention armée en Europe
– en 1929, il travaille pour l’American Tobacco Company, qui veut s’attaquer au tabou selon lequel les femmes ne peuvent fumer. La même année, au cours d’une parade, des milliers de femmes allument des « flambeaux de la liberté »[4]. L’auteur du slogan est le même qui a alerté les médias pour faire une plus large promotion de la cigarette auprès des femmes. Sans surprise, il s’agit de Bernays.
– en 1951, il travaille pour la United Fruit Company, qui fomente une vaste campagne de désinformation contre le président guatémaltèque Jacobo Arbenz (1913-1971), démocratiquement élu à la tête de son pays en 1951. Cette campagne aboutit à l’intervention de la CIA au Guatemala, et à l’arrivée au pouvoir d’un homme choisi par les Etats-Unis
L’impact de ses idées était tout sauf négligeable. Le plus sûr moyen pour lui, ou ses disciples, d’arriver à leurs fins est l’utilisation systématique du pathos, de l’émotion diluée à toutes les sauces pour nous vendre une idée, un concept, une guerre, parfois nous faire accepter l’inacceptable.
La propagande est pour lui tout à fait justifiable, utile, voire même nécessaire. Il le défend à plusieurs reprises dans son ouvrage. Pourtant, il se scandalise – ingénument surpris – que son autre livre, Crystallizing Public Opinion, soit le livre de chevet de Goebbels. Bernays défendait la nécessité de la propagande au quotidien, c’était pour lui un mal pour un bien.
Propaganda est truffé d’aveux de toutes sortes. A tel point que par moments, on a parfois peine à croire ce que l’on lit. L’une des phrases de Bernays reste en suspend, comme s’il était difficile d’en mesurer encore toute l’importance : « Oui, des dirigeants invisibles contrôlent les destinées de millions d’êtres humains. Généralement, on ne réalise pas à quel point les déclarations et les actions de ceux qui occupent le devant de la scène leur sont dictées par d’habiles personnages agissant en coulisse. »[5]
Éloquent dans son message, l’ouvrage est également court (150 pages), simple et fourni en exemples divers. C’est une lecture d’un intérêt incontestable, accessible dès l’âge de 16 ans.
[1] Propaganda, éd. Zones, p. 31.
[2] Public Affairs, ou Public Relations en anglais.
[3] La Première Guerre Mondiale est presque finie que le peuple américain n’est toujours pas favorable à une intervention de son armée en Europe. « The Commission on Public Information » (CPI), couramment nommée Commission Creel, du nom de son directeur (George Creel, 1876-1953), a été mise en place afin d’infléchir l’opinion publique, puis justifier une entrée en guerre. La célèbre affiche I want you for US Army où l’on voit l’Oncle Sam pointer le doigt sur chaque lecteur est une création de la Commission Creel.
[4] Le slogan, The torches of freedom, a été largement relayé par les médias et est entré dans l’histoire.
[5] Propaganda, éd. Zones, p. 51.
La propagande a commencé pendant la guerre de 14/18 en France (pour éviter que des soldats ne désertent ou désigner l’ennemi comme une pieuvre, un ours malfaisant ) et bien sur en Allemagne. Chaque pays l’a utilisée peu ou prou dés cette période !
merci de cet article; je lirai le livre avec plaisir quoiqu’il ait été écrit par un neveu de Freud!