Cet été, blogs et réseaux sociaux se sont enflammés : Burning man, ça n’est plus ce que c’était ; c’est devenu le repaire des mômes millionnaires des nouvelles technologies, de patrons de start-ups qui ruinent l’esprit du rassemblement ; faut plus y aller – entre autres coups de gueule dont la plupart des mortels se contrefoutent. Plutôt que d’entrer dans la danse, voilà une idée d’alternative pour les puristes qui voudraient reconnecter avec leur moi intérieur, loin de Mark Zuckerberg – la tête à claques qui nous l’a tous mise – de l’aristocratie IT de San Francisco, ou d’un énième dj set des Pachanga Boys – parce que Time, ça suffit comme ça!
C’est un peu par hasard et par bouche-à-oreille – comprendre : en discutant avec des amis babas dans un bar vaguement branché du 19ème – que je me suis retrouvé devant la première du documentaire de Clara Mouton, Cléophée Moser et Lukas Pfalzer : Rise of Consciousness, sur le Rainbow Gathering. Les trois larrons se sont aussi rencontrés un peu par hasard,- dans un auberge de jeunesse en Bolivie – où ils ont, par bouche-à-oreille, connu l’existence de ce festival – attention, on parle de communauté intentionnelle éphémère et autogérée réunie en plein air. Les mots comptent.
Le Rainbow Gathering, plus concrètement c’est une sorte de label (ouais, comme Agriculture Biologique, Commerce Equitable ou les soirées Mister Saturday Night) qui vaut gage de qualité et de valeurs communes, pour divers rassemblements dans le monde, parfois simultanés. Le premier rassemblement de ce type a eu lieu en 1972, dans la forêt nationale Roosevelt, près de Granby dans le Colorado. Les festivités avaient alors duré 4 jours, et malgré barrages police – qui considéraient l’initiative comme une menace à l’ordre public – elles ont regroupé environs 20 000 personnes. Les Rainbows sont des tribus utopistes qui excluent argent et structure exécutive (les décisions sont prises par consensus, avec un système de « bâton de parole » très école primaire). Les tribus se basent sur les idéaux de paix, de don, de volontarisme et d’écologie.
Largement fondée sur les contre-cultures 60s (beatnik, hippie) la communauté (appelée la rainbow family) cherche à sortir des dynamiques de consommation, à s’éloigner des organisations politiques, des systèmes de médias de masses, perçus comme nocifs. Au contraire, l’idée est de reconnecter avec la nature : un autre aspect prédominant de ces regroupements est qu’ils trouvent leurs racines dans une globalité de philosophies ésotériques de l’élévation de soi et du retour à la terre (orientalisme, shamanisme sud américain…).
Le premier rassemblement européen eut lieu en 1983 dans le Tessin en Suisse, et maintenant la rainbow family est présente sur tous les continents.
Jusque récemment la couverture médiatique de tels évènements a été très critique, se focalisant sur l’usage de diverses drogues, sur la nudité, les tensions avec les autorités locales – notamment les heurts avec les forces de police – les fugueurs qui rejoignaient la family… On retrouve là le traitement habituel des phénomènes de la contre-culture par les médias en place – pas la peine de chercher loin, les premiers articles sur le mouvement rave ou la naissance du hip hop en disent long. Mais un retour des idéaux new age dans nos sociétés à partir du milieu des années 90 (largement relayé par la publicité et le développement de nombres labels garantissant la qualité ou l’équité de certains produits) a poussé à regarder le phénomène des Rainbow Gatherings d’un nouvel œil, plus clément.
Aujourd’hui, les gatherings se déclinent à plusieurs échelles, avec des évènements locaux, nationaux, et un gathering international annuel. Il est organisé de manière itinérante, et en 2012, il avait lieu au Mexique, à Palenque. C’est durant ce rassemblement que le documentaire a été réalisé. La mouture de 2012 a duré le temps d’une lune entière (un mois pour les moins cabalistiques d’entre vous). 2012 correspondait à fin du troisième baktun du calendrier Maya (nouvelle ère pour certains, fin du monde pour les paranos ésotériques et les producteurs gros-cigares de la frange la plus cynique d’Hollywood).
J’ai rencontré Clara, qui m’a présenté leur projet, et m’en a un peu plus dit sur le déroulement de l’évènement. Il n’est pas évident de se préparer à ce type d’expérience, et les besoins de chacun sont uniques. Notre petite équipe s’est rendue à Palenque avec du matériel de camping – lampes, tentes, crème solaire, anti-moustiques … – ainsi que des lingettes pour se nettoyer. Ils ont également apporté des perles et des bijoux de leur fabrication pour pouvoir les troquer contre de la nourriture. Certains viennent avec des réserves de la farine, des fruits et légumes et autres produits bruts. Sur place, la nourriture est collectée ou cultivée – certains aficionados se rendent sur les lieux en avance pour lancer des cultures. Les participants construisent des fours et des réserves surélevées avec des bidons, du bois et la boue qu’ils trouvent, et arrivent à nourrir des milliers de personnes. L’eau est directement prélevée et filtrée sur place, et en théorie l’alcool est proscrit. L’organisation des premiers rassemblement avait notamment été prise en charge par des vétérans de la guerre du Viêt Nam, dégoutés par les conflits. Ils ont amené avec eux leur savoir logistique et leur sens de l’organisation.
Le soir, au centre de l’immense campement, un cercle est formé, ou des musiciens de tous bords se livrent à des jam sessions endiablées. Portés par les voix et les bruits de milliers de personnes en communion, les nuits se font courtes.
Les trois ont décrit leur gathering comme un lieu de liberté, d’espoir et de rencontre, le séjour les ayant conforté dans leur foi en l’Homme et l’élévation de l’âme. Au fil du mois passé dans la jungle, Clara avouait avoir progressivement atteint un état de paix, l’élevant au dessus du trivial, par des sessions de méditation nécessitent recul et discipline, mais aussi par la rencontre et le partage avec autrui. Des bons sentiments qu’elle a ramené avec elle pour les ré-insuffler dans sa vie parisienne. Autant dire qu’il faut être prêt au partage, aux intrusions, même, tant pour la family le bonheur et la spiritualités sont des phénomènes collectifs.
Si l’expérience du gathering est une expérience de partage, d’élévation et de quête de la paix intérieure, il ne faut pas non plus croire que ce type de regroupement est exempt de dérives et d’abus. La nature humaine étant ce qu’elle est, il arrive que les valeurs de paix et de partage qui habitent les participants trouvent leurs limites. On se doute que ce genre de communauté compte un certain nombre de gentils camés, et de demi pervers qui veulent peindre sur un maximum des paires de seins, ou un peu trop partager leurs compétences de masseurs. Mais il y a partout, une minorité qui fait du bruit et qui ternit l’image de toute la communauté. Ainsi, parmi d’autres témoignages, on rapporte qu’un petit groupe de participants s’est livré au pillage d’un buffet mariage avant de se rendre à un gathering. D’autres cas de vol ont également été reportés.
Puis ça n’est un secret pour personne, les drogues ne favorisent pas spécialement un comportement rationnel, et des violences occasionnelles ont éclaté durant des rassemblements, mais là encore n’est-ce pas un phénomène commun à tout forme vie en communauté ?
Il est également arrivé qu’un groupe polémique défraie la chronique au sein de la family. En effet, au gathering chacun vient avec ses croyances, mais se doit de respecter autrui. Le groupe Fuck for forest, a parfois fait preuve d’un côté prosélyte un peu trivial. Si un nom est un nom, des tensions sont par contre apparues lorsque les membres on commencé à se laisser aller en public – il y a des enfants présents. Dans le cas de l’édition de 2012, ils ont finalement accepté de restreindre leurs libertés et ont réservé les ébats pour des lieux un peu moins en vue.
L’un des adages des Rainbows est « venez avec votre nombril et un bol », invitation parfois prise un peu trop au pied de la lettre par des participants. On les appelle les « Drainbows ». Sorte de parasites, ils prennent largement plus que ce qu’il apportent à la communauté, vivant aux frais des autres, parfois même allant de gathering en gathering, parcourant le monde, sans jamais apporter leur pierre à l’édifice.
Clara m’a aussi raconté l’émergence de sortes d’apprentis gourous qui profitent des individus plus influençables. Cela étant dit, la communauté refusant toute forme de monnaie, il fait relativiser l’impact qu’ils peuvent avoir.
Peut-être que pour cette expérience – comme pour toute initiation – le mot d’ordre serait « osez y croire« . Il y a bien sûr beaucoup plus à dire sur le phénomène Rainbow Gathering. Cependant, peut-être que ces quelques lignes auront éveillé la curiosité de certains. Je leur recommanderai alors de voir le documentaire Rise of Consciousness pour se faire une idée. Il y a les mots, mais le Rainbow Gathering c’est avant tout une atmosphère. Si ça vous parle, je peux vous assurer que jamais vous ne vous serez sentis aussi loin de Las Vegas. Pour les autres amateurs d’élévation mystique et de dépaysement qui ne souhaitent pas pousser l’expérience si loin, j’ai bien peur qu’il faille supporter une fois de plus l’entêtant tube des Pachanga Boys.
A vos sacs.
Bien à vous, et hippie hippie hourrah !
https://www.youtube.com/watch?v=G_WbvOGZUAE