
Poème gagnant du concours « En Trois Temps » par Carole Aidane.
Soudain la lune éclaire
Au pays, on causait.
On chuchotait,
On susurrait, on se gaussait.
Et le fils se taisait.
Mais qu’est-ce qu’il peut y faire, le père?
Il avale encore une gorgée de pastis,
Lève une main lasse qui intime aux buveurs de se taire.
Mais c’est déjà trop tard, il s’est levé, le fils
Et il s’en est allé
Loin des commérages et loin de la raison, loin du village et loin de la maison
Du père et de la mère qui connaissent la vie
Et qui lui ont parlé,
Et dit.
Et puis re-dit.
Le père s’essuie le front. Il commande au patron
Une liqueur de gentiane
Jaune comme la trahison, amère comme l’abandon
Parce qu’il sait le père, il sait, que chaque nuit,
Dans le jardin de Marianne,
Dans l’ombre des buissons et dans celle des arbres,
Le fils se glisse et se tapit,
Bête blessée, violentée, qui observe et attend.
Le père, hier, l’a suivi, son fils aux yeux de marbre
Où luisent l’éternité glacée d’un amour rejeté et celle de l’exil.
Pas un souffle de vent, pas un frémissement ;
C’est une soirée d’été, calme, chaude et tranquille.
Soudain la lune éclaire une chevelure rousse,
Puis un front, puis une bouche,
Un bras fort et musclé repousse un vasistas
Et un corps un peu lourd s’en extirpe sans grâce.
Sur les tuiles du toît, Marianne avance prudemment
Dans sa tunique blanche, elle titube, elle vacille,
Se redresse, fait encore quelques pas, s’arrête comme le temps,
Baigne son corps et son visage dans la clarté lactée.
Le père détourne les yeux, il regarde le fils.
Ebahi,
Espanté,
Il le voit contempler une déesse callipyge qui vogue, souveraine.
Sur la ligne de crête,
Glorieuse,
Radieuse,
Etincelante princesse vénitienne,
Aux cheveux ondoyants, aux voiles resplendissants
Souriant à la vie et aux cieux étoilés, ignorante du fils qui, dans l’obscurité,
Vers elle,
Lève la tête.
Et il soupire le père, et c’est lui qui chancèle, et qui clôt les paupières,
Et chasse la vision de ce fils envoûté.
Les buveurs silencieux se remettent à parler et à tergiverser,
Ils regardent le père traverser le café, s’accouder au comptoir :
– A boire, Patron, à boire !
Une bouteille de vin et une chope de bière »
Et puis il boit. le père, il boit, de l’oubli en canette, de l’espoir en litron.
– Nous publierons prochainement les poèmes des deuxième et troisième du concours –
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