Et dire que c’était un objectif plus jeune, voire un critère : « Si elle n’est pas prête à coucher dès ce soir, quel intérêt ? » Et pourtant, maintenant c’est moi qui dit stop.
29 ans et demi, hétéro, de sexe masculin et, en 15 ans une quarantaine de partenaires au compteur. Voilà pour me présenter en quelques data clefs.
Coucher avec des filles n’a jamais été un objectif dans la vie…
Quoique, soyons honnête, je suis un garçon qui a connu la puberté, ergo ça a obligatoirement été mon but à un moment donné… Une question d’instinct pour le biologiste ou de conatus pour le philosophe (et oui, je case du Spinoza dès le deuxième paragraphe, #YOLO !). Après tout, il est important de contribuer à la survie de l’espèce humaine.
Mais justement, nous sommes bien plus que des animaux. A notre époque où l’hédonisme est devenu une valeur générationnelle et où le sexe est désacralisé par son omni-présence (à tort ou à raison), il semble important de nous interroger sur nos mœurs amoureuses et plus particulièrement sur ce fameux premier rapport entre individus consentants.
Coucher le premier soir, c’était la modernité
Je dois confesser que pendant une période, coucher le premier soir était presque un critère pour choisir mes partenaires… Une fille avec qui j’entamais des préliminaires devaient aller jusqu’au bout, au risque qu’on ne se revoit pas. Bien évidemment, je ne l’ai jamais dit (on ne force personne) mais c’est une ligne de conduite que je suivais assez inconsciemment.
Pourquoi alors, en tant que mec, était-ce important de coucher dès le premier soir ? Mais aussi pourquoi existe-t-il une réticence chez certaines filles ?
Il s’agit d’une question d’éducation sexuelle différenciée : les garçons et les filles ne sont (n’étaient – les choses semblent changer) élevés à la même auberge.
D’un côté, les petits mâles sont éduqués avec des modèles qui les encouragent à devenir de parfaits Don Juan capables d’enchaîner les conquêtes sans remords (James Bond en est le plus bel archétype). Et de l’autre côté, les petites filles sont tiraillées dans la dichotomie du slut et du prude shaming : c’est-à-dire être une femme libérée sexuellement mais pas trop non plus.
Autrement dit, pour les garçons le sexe prend rapidement une allure de compétition quali/quanti : qui baisera un maximum de belles femmes. Certes, on ne fait pas plus bas dans le désir viril ; mais il s’agit de l’expression d’une pulsion quasi-animale, le besoin de s’affirmer en mâle alpha du groupe…
Et malgré que beaucoup d’hommes affirment conchier ce vil instinct primaire, je peux vous assurez que tous gardent secrètement une fascination pour les grands séducteurs.
En face, les filles sont encouragées à moins de libertinage, parce que ce sont elles qui prennent –presque– tous les risques. Un risque biologique d’abord : la grossesse accidentelle reste inconsciemment la plus grande barrière au sexe. Et risque social en second lieu, parce que la réputation de « fille facile » est plus aisée à gagner qu’à perdre… La misogynie occidentale a la dent dure !
La femme doit être pure, préservée du péché du sexe au risque de passer pour « une pute qui couche avec tout le monde » (NDR : OK j’avoue celle-là c’est juste pour le référencement Google et c’est moi la pute pour le coup).
Même s’il existe aujourd’hui de nombreux moyens de contraception et que leur usage est socialement accepté sinon encouragé, l’inconscient collectif change hélas lentement, même dans un monde post-68.
Au final, en plus de flatter mes bas instincts de wannabe mâle alpha en augmentant mon score de conquêtes, pour moi coucher avec une fille dès le premier soir était surtout le signe que nous nous entendrions bien : la preuve par A plus B (ou plutôt B dans C…) qu’elle avait intégré la révolution sexuelle et qu’ensemble nous pouvions être absolument moderne !
Un moyen de faire connaissance rapidement
J’ai toujours eu un faible pour l’expression « connaître au sens biblique »… Quand on voit le rapport des religions du livre au sexe, je trouve la tournure délicieuse d’ironie !
Pourtant elle a un fond de vérité. Il y a lorsque l’on passe du temps nu dans un lit avec quelqu’un, des barrières qui tombent et on laisse plus facilement l’autre pénétrer son intimité (sans mauvais jeu de mots). Souvent en partageant une nuit l’on découvre un appart, un animal de compagnie, un coloc ou une collection malsaine de poupées en porcelaine qui regardent fixement le lit où tu copules. Ce sont autant d’indices qui permettent de savoir rapidement si une personne nous plaît vraiment.
Mais le vrai test est avant tout physique : la fameuse entente sexuelle. Je ne dois pas être le seul à le penser, mais pour moi l’entente sexuelle compte pour au moins 50% de la relation (parce que pour le reste, c’est bon j’ai des potes). Du coup, passer à la casserole, c’est un peu un entretien d’embauche mutuel ou une qualif’ pour un championnat sportif : faut qu’il y ait de l’émotion, du frisson, de la confrontation et que ça transpire l’excitation !
Parce que si nos premiers frottements ne provoquent pas d’étincelles, à quoi bon perdre plus de temps ?
Coucher le premier soir, c’est aussi risquer de s’attacher plus vite ! Je ne compte pas les relations moyennes ou longues que j’ai eu qui ont commencées grâce à une première nuit mémorable (OK, à vue de nez 7, ce qui me semble déjà énorme).
Cet attachement qui naît lors du premier rapport est la conséquence directe d’un happening neurologique, et la coupable répond au doux nom d’Ocytocine aka. hormone de l’amour ou de l’empathie, aka. le prénom de ma future fille (soyons moderne, on donne bien des noms de pierres ou de fleurs ; et ca reste toujours plus classe que Cyprine).
Pour rappel et en très gros, votre cerveau sécrète de l’ocytocine lorsque vous faites confiance à quelqu’un ou éprouvez du plaisir avec une personne. Pour dégager de l’ocytocine en bonne dose, un câlin sincère suffit… Je vous laisse donc imaginer ce qui se passe lors d’un orgasme simultané !
Physiologiquement, hommes et femmes ne sont pas égaux face à l’ocytocine. Si les deux sexes en dégagent, la dégradation de l’ocytocine est plus rapide chez les sujets disposant de beaucoup de testostérone alors qu’inversement les œstrogènes stimulent, elles, la production d’ocytocine.
Cette explication hormonale expliquerait -pour certains- pourquoi les hommes sont moins prompts à s’attacher que les femmes. En réalité c’est un peu plus compliqué que ça, mais c’est un autre sujet et je vous laisse effectuer vos recherches sur cette hormone fascinante…
Wake of Shame
Où en étions-nous ? Ah oui, on vient de s’envoyer en l’air, on a dégagé un bon pic d’ocytocine et maintenant il va commencer à se dégrader. De surcroît, votre cerveau vient également de connaître un pic de de dopamine (hormone du désir, mais pas que) et d’endorphine (hormone du plaisir, mais pas que).
Le bon docteur Galien qui fut médecin de Marc-Aurèle (FYI – il est aussi important dans l’histoire de la médecine qu’Hippocrate mais était bizarrement meilleur en anatomie simiesque et porcine qu’humaine) avait une très jolie expression : « post coïtum omne animal triste est sive gallus et mulier », qui se traduit par « Après le sexe, tous les animaux sont tristes, sauf les coqs et les femmes ».
Au-delà du côté myso de la citation (qui pousse ironiquement à se questionner sur un pressentiment de Galien sur les effets de l’ocytocine), l’après-sexe est une période de petite dépression pour le cerveau. Alors à moins de vous être endormi dans une étreinte passionnée, la réalité a de bonne chance de se rappeler brusquement à votre bon souvenir au réveil. Petite mise en situation : « Mince, je suis à perpète de chez moi, cet(te) inconnu(e) moite me tient chaud, j’ai vraiment envie de me laver les dents, puis à regarder à deux fois sous les draps, bon dieu mais qu’est-ce qui m’a pris ! ».
Et c’est là qu’on touche à l’épicentre de pourquoi j’évite désormais de coucher le premier soir…
Le nerf de la guerre
Avez-vous déjà regretté d’avoir couché avec quelqu’un ? Moi finalement très peu, mais suffisamment…
Suffisamment pour être capable aujourd’hui de me dire que je préfère attendre de voir la personne une deuxième fois avant de décider de faire la bête à deux dos avec elle.
Et ce n’est pas l’envie ou la pulsion qui manque. Simplement je sais que coucher avec quelqu’un biaise irrémédiablement les rapports ! Et des filles qui auraient pu devenir de bonnes amies sont réduites à être des coups d’un ou quelques soirs.
Quand on est dans l’instant, bourré de dopamine (et parfois d’alcool…), qu’on déborde d’envie d’arracher à l’autre tous ses vêtements, il est plutôt facile de se décider sur un coup de tête.
Je sais que j’ai un côté sapio-sexuel, je fantasme grave sur les jolies filles qui gagnent au Trivial Pursuit, elles provoquent en moi des tempêtes d’ocytocine. Et lorsqu’une femme me plaît vraiment intellectuellement, j’ai envie de la garder dans ma vie, et ceci quitte à me priver d’une aventure charnelle.
Cocteau avait cette belle expression « Je fais mieux l’amitié que l’amour. »
Si à la base elle me servait de break-up line grandiose pour rompre tout en restant pote, je la comprends aujourd’hui sous un autre angle : l’amitié d’abord, l’amour on verra.
Ça ne veut pas dire que je tiens à rester complètement chaste le premier soir (je suis le premier à dire qu’il faut briser les règles), mais simplement que je préfère prendre le temps de connaître un peu plus la personne avant de me décider… Et commencer par une nuit ensemble où l’on s’interdit d’aller jusqu’à la pénétration est devenu un de mes jeux favoris !
La frustration qui en résulte devient un petit plaisir : si l’envie est toujours là après cette première nuit « chaste » (guillemets de 5 mètres), on laisse le temps au désir de mûrir, de bouillir à coup de sextos de part et d’autres… Et il est alors possible d’organiser une première nuit d’anthologie avec les petits plats dans les grands et le champagne dans le seau, qui remplace dignement tous les coups rapides dans une voiture en rentrant de boite ou sur le palier d’un pote…
Mais attendre c’est aussi se laisser l’opportunité (voire le luxe), tout de même moins courante dans mon expérience, de réfléchir à si une relation sexuelle est réellement ce l’on veut vivre avec cette personne fraîchement rencontrée.
Pour conclure (haha !)
Choisir d’attendre avant de coucher avec quelqu’un rend l’acte pleinement engageant et décidé, en plus de désiré.
C’est un contre-pied total à la pratique dominante hédoniste actuelle où nightclubs et applications de rencontre permettent un consumérisme sexuel débridé. Certes en avoir la capacité est magnifique de liberté, mais à en abuser on réduit le sexe à une activité purement hygiénique, assez vaine de sens –hormis répondre à un besoin biologique– et qui peut parfois devenir source de malaise.
J’en veux pour preuve la fin de The Game, le best-seller de Neil Strauss sur les pick-up artists, où nombre de professionnels de la séduction finissent par abandonner totalement la drague pour se tourner vers la spiritualité, en quête d’une transcendance qu’ils ne sont plus à même de trouver dans le sexe.
Ne pas s’envoyer en l’air dès le premier soir est donc une pratique que je juge saine : pour moi niquer avec une meuf de plus n’est qu’un plaisir marginal comparé à celui de voir germer une belle amitié et de préserver le peu de la candeur sentimentale qui me reste.
Mais que les choses soient claires, je ne prêche pas qu’il convient d’ériger en règle-d’or-gravée-dans-le-marbre de ne jamais coucher le premier soir : les aventures d’une nuit restent belles et désirables dans leurs aspects éphémères. Surtout lorsque l’on sait que l’opportunité de « faire connaissance » façon Bible ne se présentera qu’une fois (en voyage par exemple).
Je sais que j’ai choisi mon camp : adieu la FOMO du flirt, et comme dis la sagesse populaire : « Les bonnes choses viennent à ceux qui savent attendre. »
Crédit photo : Shortbus par John Cameron Mitchell