Le Grand Bestiaire s’intéresse aux dessous coquins d’Internet : À chaque seconde, 28,258 internautes sont connectés sur un site porno dans le monde. Ils ont l’embarras du choix : 12% des sites internet présentent un caractère pornographique.
En 2012, YouPorn a dévoilé le chiffre de 100 millions de pages vues par jour, et on peut s’imaginer que ce chiffre n’a pu qu’augmenter au fil des années. XVideos, leader dans ce domaine, serait lui à 4,46 milliards de pages vues par mois – dont 350 millions de visiteurs uniques – soit environ un tiers de trafic mensuel du mammouth américaine de la vidéo en ligne YouTube. Ce succès est dû à une grande diversité de l’offre de produits pornographique, entre les pratiques niches, les vidéos d’auto-érotisme amateur, le fantasme dominant ou encore de véritables blockbusters qui s’inspirent de films réels (avec en tête la parodie de Pirates de Caraïbes, qui totalisait tout de même un budget d’un million de dollars). Chaque pays est venu enrichir le patrimoine pornographique mondial avec ses spécificités et curiosités – et force est de constater que certaines cultures sont plus permissives – d’aucuns diront déviantes – que d’autres. Pourtant, partout des règles, et donc des interdits. Certaines susceptibles de surprendre par leur côté arbitraire.
L’écrivain édenté Michel Houellebeq, dans son dernier roman, fustige la production pornographique française. Déplorant des « paroles épouvantablement faibles », il enfonce le clou par un jugement de société à couteaux tirés « voilà à peu près ce qu’on pouvait attendre d’un peuple régicide. » Provocation absurde et – il faut le dire – hilarante, ce jugement rappelle aussi que les interdits et les pratiques d’un pays sont intimement liés à son identité profonde. Dans un marché global, les régionalismes font tache, et comme souvent le libéralisme du marché s’alimente de la perspective du libéralisme des mœurs. La production pornographique, comme sa diffusion, se fait aujourd’hui à l’échelle mondiale.
4% des internautes étant exposés involontairement à une forme de pornographie par le biais de pop up, mails et autres liens malhonnêtes, et ce, sans possibilité de protection des enfants, il est normal qu’un état soit désireux d’encadrer les contenus sur son territoire. Aussi, la reddition de la dernière poignée d’irréductibles n’ayant pas interdit les lolicons (image ou la représentation d’un mineur qui présente un caractère pornographique) montre comment tout le monde arrive parfois à se mettre d’accord. Concrètement, aujourd’hui dans le monde, tout dessin ou toute image de synthèse que quelqu’un réaliserait pour son propre usage privé, même lorsque le sujet représenté est exclusivement sorti de l’imaginaire du dessinateur et donc qu’aucun mineur n’a été abusé, est puni (peine de 5 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende en France). Il s’agit de punir un fantasme jugé répréhensible par la société et l’état – susceptible de révéler ou entretenir un comportement criminel.
Avec la prise de conscience autour des droits de animaux, la Zoophilie est elle aussi en train de rejoindre le camp des grand interdits mondiaux – comme pratique ou comme œuvre visuelle. Jusqu’à présent, et depuis 1969, l’Allemagne avait dépénalisé cette pratique, à condition de n’infliger aucune souffrance aux animaux. une loi votée en 2012, mais uniquement devenue effective en 2015 du fait de l’action obstinée de lobbys a finalement interdit les rapports avec des animaux (le Danemark s’y est résolu la même année, afin de ne pas devenir le havre européen des amours inter-espèces).
Sans surprise, dans une bonne partie du monde non occidental, la pornographie est illégale – en particulier dans les pays religieux. Ces interdictions prennent parfois des dimensions étrangement disproportionnées – comme en Corée du Nord, où regarder un porno est passible de peine de mort. En Irak, depuis l’annulation des restrictions anti-porno mises en place par Saddam Hussein, certains fondamentalistes s’inventent vigilantes et espionnent les clients des cyber-cafés. Certains cas de kidnapping et de torture ont accompagné ces actions à l’encontre d’individus en flagrant délit de visionnage de films érotiques.
Au delà des restrictions pures et simples, les particularismes quand aux pratiques et les cadres de consommation de pornographie sont intéressants à observer. L’approche médicale de la pornographie en est une qui a de quoi surprendre. En Ukraine, par exemple, les individus en possession de documents pornographiques peuvent être condamnés jusqu’à 3 ans de prison à moins qu’ils ne soient en mesure de justifier l’utilisation de ces documents par un traitement médical. Un angle médical également retenu au Brésil, mais dans la réalisation de vidéos. Les acteurs porno y sont légalement obligés de porter un préservatif – obligation de prévention publique dans un pays miné par une vaste épidémie de SIDA.
Les japonais, qu’on connaît souvent pour des pratiques peu communes et très largement considérées comme misogynes (on leur notamment les improbables bukkakes simulations de viol dans des transports publics, et les dérives étranges du porno tentacule, et où la perception de la sexualité fait la part belle aux hommes, laissant les désirs – sans même parler des fantasmes – féminins de côté), interdisent la publication d’images représentant explicitement des poils pubiens. On a du mal à comprendre comment un élément propre au corps humain et on ne peut plus naturel peut choquer dans un pays qui a poussé le symbolisme masculin aussi loin.
A l’inverse – littéralement – le rapport au corps de la femme est radicalement différent en Australie. On en atteint des critères purement discriminatoires : les femmes ayant une petite poitrine (bonnet A) n’y sont pas autorisées à jouer dans un film porno. L’Australian Classification Board a estimé que les hommes appréciant les films dans lesquels jouent des femmes à petits seins pourraient être de potentiels pédophiles. Ils les ont donc interdits de peur d’inciter ces derniers. Les films classés X n’ont également pas le droit de montrer une éjaculation féminine. Le célèbre producteur Larry Flynt aurait ainsi vu plusieurs publications de son groupe Hustler bannies en Australie parce que les poitrines de ses modèles n’étaient pas assez opulentes. L’histoire ne dit pas si les hommes à petit sexe ont aussi été considérés par les censeurs (on imagine néanmoins le tollé provoqué par une telle décision).
Cette dernière interdiction a fait l’objet d’un vaste débat dans le monde anglo-saxon, surtout depuis une réforme très controversée au Royaume-Uni. Un amendement au Communications Act de 2003, datant de décembre 2014 à interdit les réalisations de porno disponibles en ligne, mais payantes de bannir les pratiques sexuelles suivantes:
– La fessée
– La pénétration à l’aide de tout objet “associé à de la violence”
– Des abus physiques ou verbaux (peu importe s’ils sont consentis)
– L’Ondinisme (pratique qui consiste à uriner sur son/sa partenaire)
– L’étranglement
– Le fist-fucking
– L’éjaculation féminine
– Le facesitting (pratique qui consiste à s’asseoir nu sur le visage de son/sa partenaire)
Certaines pratiques visées sont extrêmes par nature, et donc de nature à choquer certaines sensibilités. De nombreuses visées par l’amendement, cependant, concernent en premier lieu les femmes, et souvent la pornographie dite « femdom », où les femmes ont le pouvoir. D’aucuns se sont demandés pourquoi, par exemple, interdire l’éjaculation féminine et non masculine. La réalisatrice de films érotiques Erika Lust estime qu' »avec cette nouvelle législation, le Royaume-Uni va revenir à l’époque où le porno se résumait à un fantasme masculin ennuyant et irréaliste de bimbos satisfaisant avec plaisir des hommes, comme si c’était leur devoir, à un âge où les femmes étaient soumises. Les femmes de l’industrie auront maintenant peur de perdre leur gagne-pain mais aussi leur indépendance sexuelle. » Cet avis n’est pas isolé : « Le gouvernement dit maintenant qu’il est acceptable de regarder de la porno, mais pas si certaines femmes savourent trop le moment ou si elles jouissent trop longtemps. Que veulent-ils de nous ? Qu’on se couche sur le dos et que l’on pense à l’Angleterre ? », a lancé une vedette de films pornographiques du nom de Sinead au journal U.K. Mirror. Aussi, cette restriction en dit long sur la société britannique – pays, rappelons le, des suffragettes, pionnières dans la lutte pour l’égalité – et le chemin qu’il reste à parcourir aux femmes.
Certaines de ces restrictions, pour le moins farfelues, posent la question de l’opportunité – sinon du sérieux – de la censure. Il est par nature bon de questionner toute position morale qui cherche à dicter à autrui ce qu’il est sensé pouvoir dire ou faire. En ce qui concerne les pratiques universellement condamnées, il apparaît un consensus de toutes les sociétés pour le juger répréhensibles, et aussi, la censure semble justifiée. Dans les autres cas, la question se pose. D’autant qu’elle est avant tout symbolique, et il est difficile d’empêcher un internaute d’aller visionner ses fantasmes dans le web mondialisé. De ce fait, encadrer les productions nationales aura-t-il un autre effet que de réduire leur champ de liberté par rapport à celui de la concurrence étrangère ? Une approche basée sur la production nationale est, en effet, totalement anachronique. La nouvelle loi britannique limitera ainsi par exemple ce qui peut être produit au Royaume-Uni, mais cette décision n’empêchera pas les adeptes de la pornographie à visionner des productions d’autres pays grâce à Internet.
A l’heure où les contenus s’hébergent désormais sur des serveurs, pour être accessibles depuis n’importe quel appareil, et n’importe quel endroit du globe, l’importation est une notion bien relative. Les tabous, eux restent réels.