Comme poster 50 photos de soi chaque jour de ses vacances à Palavasse les Flots sur les réseaux sociaux ne suffit plus à montrer que notre vie est meilleure que celle des autres, pensez à prendre des selfies dans des bars branchés. Le mieux est encore de le faire en semaine, avec Frida du département marketing en habits de lumière, accompagner le tout de hashtags audacieux en franglais afin d’illustrer parfaitement le dytique work hard party hard.
Les poseurs des rues de la capitale vous le diront : sortir le weekend c’est has been. Transports bondés, queues interminables devant les établissements populaires, embouteillages au comptoir, impossible de trouver un taxi libre entre deux et quatre heures, le samedi est devenu synonyme de galères pour le sorteur snob, notoirement peu préteur quant à son espace. Une solution aurait été de ne plus sortir. Une autre de se contenter des élucubrations alcoolisées, presque une obligation constitutionnelle, qu’est le pot du vendredi – youpi ! les souris dansent.
Mais peut-on raisonnablement vivoter six soirs de la semaine, pour ne finalement se vautrer qu’une fois dans la convivialité confortable de fond de verre, de l’œil qui brille – puis qui ne brille carrément plus du tout – de la pensée vive – qui précède généralement le disque rayé – de cet émerveillement céleste qui tourner les lumières municipales et chanter du Brel ? Non. Niet. Hors de question. Alors plutôt que de se frotter à la plèbe bêlante et, finalement, faire comme tout le monde, les panuches, cocottes, talons rouges, et badouillards se donnent rendez-vous le jeudi, pour se cuiter entre gagnants.
Avant, les soirs de semaine, c’était une affaire d’étudiants. Jeunesse insouciante qui se ruine durant de vastes happy hours dans un pub vaguement anglais en aggloméré imitation bois, en écoutant une playlist de repiquages Nova qui tourne depuis 2005. Au coin de la rue, désormais le branché s’envoie une assiette mixte ou un burger vegan pour éponger les trop-pleins de Grolsch. On évite la cravate, on évite aussi les after work où la fête sert d’excuse au réseau – on n’est pas dans le huitième, ça va ! – ici, le jeune salarié fauché – ou qui prétend l’être pour faire plus chic – surpaye des consos dans une attitude très no future, par ce que demain c’est loin.
Concerts, clubbing en petit comité, dégustations terroir, ouverture de boutique branchouille à côté du Canal, vernissages, nocturne du musée d’Orsay avant une bouteille de Quincy bio sur les quais, tout se passe le jeudi. Sous vos fenêtres. Plus besoin d’anniversaire ou du beaujolais nouveau, la sortie de semaine s’assume, parce que pour la génération Y, la vie sera précaire mais fun. Et quoi de plus fun que de se réveiller en sursaut dans la studette de cette vendeuse de la boutique APC rencontrée entre deux verres de trop, avec une pâteuse de deux jours et une odeur de clope froide à même l’épiderme ?
En plus, s’arsouiller nonchalamment le jeudi permet d’affirmer son statut de mondain le lendemain au bureau. L’idée est de pointer au boulot avec une gueule de trois kilomètres le vendredi matin – en retard, et en le faisant remarquer, ça va de soi. A la machine à café, il convient d’envoyer, avec une voix comme une chaudière de maison de campagne, à la collègue qui s’est fait un dîner quinoa en regardant les marseillais contre cht’is, « Quoi ? T’as raté Forever Pavot à la Maroq ? C’était immense. Ensuite on est allés au Carmen pour une soirée Hip Hop & Noam Chomsky. »
– Ah non, je ne sors pas la semaine.
– Faudra s’y mettre.
– Et tu fais quoi samedi ?
– Je regarde un docu Arte gé-nial sur l’urbanisme à Cracovie avec ma nana. Je ne sors plus le samedi. Puis on se lève tôt dimanche pour aller voir Seth Troxler à la Concrète.
La classe.