« Gros biscuits » au lieu de « gros bisous », « koh l’Antartique » au lieu de « Koh Lanta »… On ne compte plus les perles de drôleries que le correcteur automatique d’iPhone égrène dans nos textos.
Des billets en recensent mêmes les pires trésors, comme celui du Cosmopolitan et celui du Huffington Post : on ne s’en lasse pas. Avec ces coquilles, pourtant destinées à nous corriger, on se retrouve à appeler « vomi ou » une amie à qui on voulait s’adresser comme « copinou », ou à vanter son tatouage dans le dos en forme d’« herpès » au lieu d’Hercule. Une activité cocasse que peut susciter ces fleurs de l’iPhone, en plus de leur délicieuse lecture, c’est de leur trouver des ancêtres.
Un rapprochement risqué, et pas moins légitime pour autant, nous ferait voir en André Breton l’un des grands-pères de cet outil-clé de l’appareil de Steve Jobs. En inventant et théorisant l’écriture automatique, dans le Manifeste du surréalisme de 1924, Breton avait cherché à libérer l’écriture des emprises de la rationalité et de la censure qu’exerce la conscience sur le jet de nos mots, pour laisser la voix à l’inconscient spontané. Il cherchait, à travers ce processus, à atteindre le « hasard objectif », cet arbitraire si puissamment vrai d’une expression où les bizarreries enfouies dans l’inconscient se dévoilent et se mettent en mots, à la grande surprise de leur scripteur. On se rapproche ainsi de l’automaticité, celle de motifs tapis en nous qui parleraient seuls et sans le contrôle de la volonté, un peu comme celle de l’algorithme qui sait si bien lui échapper. Le Manifeste cite d’éloquents exemples de cette écriture « sans préméditation » sous la plume de Reverdy : « Dans le ruisseau il y a une chanson qui coule », « Le jour s’est déplié comme une nappe blanche », ou « Le monde rentre dans un sac ». Ces étrangetés, soufflées par nos forces silencieuses laissées en mode automatique, sont, de même que celles de l’iPhone, loin d’être dépourvues de sens. La signification qu’elles véhiculent est juste différente que celle qu’aurait choisie une écriture maîtrisée par la conscience : elles enveloppent tout ce que le hasard comprend de décalé, de ludique et de poétique.
C’est que la figure de l’automaticité s’est simplement déplacée : autrefois, dans les années 1920, elle résidait dans une écriture dégagée de toute codification sociale, laissée à la merci du gong sauvage, de l’appel pulsionnel de nos fonds mystérieux ; aujourd’hui elle consiste dans la prose de nos drôles de technologies. Le correcteur orthographique est comme l’inconscient de la langue, il exprime ses tendances statistiques, l’étalage brutal du dictionnaire dans sa distorsion par rapport à l’intention précise du sujet conscient. De même qu’on s’évade de la prison rationnelle par une expression sans foi ni loi, on se distraie désormais du sens fixe des choses, si ennuyeux et rigide, grâce aux coquilles que recèle un SmartPhone en liberté.
En poussant plus loin la comparaison, on trouve même une singulière similitude de principe entre les « Cadavre exquis » de ces mêmes Surréalistes et la « Poésie Googlienne ». L’un comme l’autre sont le pendant collectif des pratiques solitaires que forment l’écriture et la correction automatiques : là où ces derniers placent l’homme seul face à ses ténèbres intérieures ou aux méandres de la technique, les premiers nous ouvrent l’accès au curieux rire d’un inconscient collectif. Le Cadavre Exquis, c’est la création d’images ou de textes à l’aveugle, par plusieurs participants qui composent le fragment d’un tout sans connaître la contribution des autres. La Poésie Googlienne quant à elle se fonde sur l’outil Google Suggest, qui nous propose à l’avance différentes suites possibles à nos requêtes en fonction des entrées les plus fréquentes statistiquement. Parfois, pour certaines requêtes, on découvre des poèmes tout à fait charmants que recense le site http://francais.googlepoetics.com/:
Dans un article de Slate.fr, Vincent Glad imaginait en 2010 que Google Suggest était en quelque sorte l’inconscient d’Internet. Si inconscient il y a, fruit des milliards de mots-clés entrés par les utilisateurs, alors il a aussi sa poésie : celle qui, comme les Cadavres Exquis, fait dialoguer les expressions clichées, les pulsions inavouées, l’infini réservoir de nos stéréotypes et de nos rêves.