De la porte de Clignancourt au boulevard des Poissonniers, les Roms de la Petite Ceinture se sont installés depuis 6 mois dans des bidonvilles insalubres. L’expulsion de ces 300 Roms et Roumains a eu lieu mercredi 3 février à 7h du matin. En pleine trêve hivernale, entre rire et tension, retour sur une communauté qui appréhende les jours à venir.
À la sortie du métro place de Clignancourt, deux pans de la société se font face. D’un coté, les bidonvilles, et de l’autre, La REcylcelrie. À l’instar du bar-restaurant branché, sur la voie ferrée qui mène aux logements vétustes des Roms, il faut montrer patte blanche.
Sourire en or
Irina* passe une partie de sa journée à accueillir les nouveaux venus. Elle a « de la chance » lance-t-elle, avec un sourire laissant apparaître quatre dents dorées. Sa cahute, faite de tôle et de planches de bois en contreplaqué, est la plus proche du « point d’eau ». Par contre, son sourire se dissipe lorsqu’elle parle de son expulsion à venir : « Ma jeune fille est scolarisée dans le quartier. C’est la première fois que je me faire expulser, j’apprécie la vie ici. Nous sommes ensemble, solidaires. J’ai peur pour mon avenir ». Vêtue d’un survêtement rose bonbon, Crina récupère des morceaux de bois. Elle alimente son poêle de fortune, formée d’un fût métallique et d’un tuyau suintant de suie. Mais c’est « sans danger » rassure la jeune femme. La ville de Paris a délivré des extincteurs aux Roms de la Petite Ceinture. Les habitants les disposent fièrement sur les murs. Mais cette illusion de sécurité ne dupe personne. Construites avec des objets de récupération, les cabanes sont hautement inflammables : la première raison donnée pour leur éviction.
« Le bidonville va-t-il être détruit ? »
Quelques mètres plus loin, l’odeur d’un barbecue remplace les effluves de soufre. Une musique Tzigane sort d’un vieux poste radio déglingué pendant que deux femmes aux cheveux blancs, coiffées d’un foulard, dansent joyeusement. Pour donner un peu de stabilité au sol, les rails sont recouverts, soit de planches en bois, soit de tapis à l’influence orientale. L’ambiance reste au beau fixe, mais le doute sur l’avenir est pesant. « Le bidonville va-t-il être détruit ? », lance un adolescent au vieillard assit à coté du barbecue. Casquette vissée jusqu’aux sourcils, l’air endurci, Victor*, la soixantaine, n’a « pas peur » de se retrouver « à la rue ». « J’ai déjà vécu deux expulsions. On te loge dans des hôtels, quelques jours, on te remet dehors, et on se retrouve un lieu », explique-t-il blasé. C’est un cycle perpétuel qui lasse les séniors et effraie les jeunes.
Merci pour ce moment
3 tapis plus tard, des habitations vaguement plus solides s’équipent de groupes électrogènes qui alimentent des radiateurs électriques rafistolés et des téléviseurs à tubes cathodiques. Malgré les installations, les portes aux couleurs vives s’ouvrent sur des espaces sombres, froids et humides. « Les associations essayent de nous aider, de rendre notre vie meilleur, ils ont même manifesté pour nous, mais ça ne changera rien. Les évacuations ne règlent rien, on déplace le problème. On retrouve un lieu en moins d’un mois, pour reconstruire nos maisons » déplore dans sa barbe bien fourni, André*, assis sur une chaise de bureau devant son cabanon. Il replace son bonnet et lance l’air hagard : « Avec le froid actuel, je me demande où on va aller… »
*les noms ont été modifiés
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