J’habite depuis peu dans la rue Montorgueil et je suis rarement seul. Dans cette voie piétonne animée de jours comme de nuit, je croise des restaurateurs, des commerçants, des « titis parisiens », badauds et autres touristes.
La plupart du temps nous débarquons dans cette rue au petit matin, avec les premiers commerçants qui préparent leur achalandage de poissons, de viandes ou de légumes. Au croisement de la rue Etienne Marcel et de cette zone piétonne du 1er et 2eme arrondissement, vous rencontrez une dizaine de mes camarades. Plus de 100 personnes nous passent devant en moins d’une heure sans nous regarder, la plupart du temps, ils nous marche dessus. D’un bout à l’autre des pavés de la rue Montorgueil, nous sommes 989 compagnons en plein milieu de l’après-midi à observer les allées et venus des hipsters, bobo et jeune endimanché qui navigue dans ce quartier réputé. D’après un pompier planté sur les pavés, « vers 18H, à la sortie des bureaux, le chiffre va doubler ».
Nous sommes agglutinées en masse devant les terrasses de café. À 20, devant le Rocher des Cancales, au croisement de la rue Greneta. À 40, devant le restaurant bobo-bio Exky, au croisement de la rue Mandar. Depuis le début du mois de septembre, nous sommes nettement plus discrets, pour éviter les amendes des policiers. Nous sommes légions le week-end, on nous retrouve par milliers, pour le plus grand plaisir des agents municipaux. Planqué entre la poubelle et la bouche d’égout, certains se remémorent avec allégresse l’époque où nous étions autorisés à nous balader dans les cafés.
Il paraît que je gêne. Plutôt silencieux, les politiques en veulent plus à mon odeur qu’à mon bruit. Nous sommes désormais des sédentaires éphémères naissant et succombant par la main de l’homme. Je ne suis pas un réfugié, je ne suis pas un migrant, je ne suis pas un SDF ou un pauvre homme au RSA faisant la manche. Je ne suis même pas Charlie, je ne suis qu’un mégot au bord de la route, à qui l’Etat fait la guerre depuis plus de 25 ans, sans succès.